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- A dangerous method, de David Cronenberg (Angleterre-Allemagne-Suisse-Canada, 2011)
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Au ciné-cité La Défense
Quand ?
Lundi soir, en avant-première de sa sortie le surlendemain
Avec qui ?
MaBinôme
Et alors ?
A dangerous method ressemble à un aboutissement du chemin particulièrement inattendu pris par l’œuvre de David Cronenberg, avec A history of violence puis Les promesses de l’ombre. Ces deux films ont marqué une rupture sèche avec le mode d’expression privilégié par le cinéaste lors des trente premières années de sa carrière ; le spectacle graphiquement explicite et agressif des humeurs sombres de l’humanité y laisse la place à leur intériorisation radicale. Finie l’exhibition véhémente, délirante parfois, des mutilations (Crash), transmutations (La mouche), des expulsions, éruptions et autres formes douloureuses d’échanges organiques (Frissons, Faux-semblants, eXistenZ…). Cronenberg a fait rentrer le mauvais génie dans sa lampe, et c’est à l’observation depuis l’extérieur de ce contenant qu’il se consacre désormais. Les êtres auxquels il s’intéresse sont toujours animés d’aussi noirs désirs, mais ils sont devenus des personnages réalistes et non plus symboliques car ils savent se contrôler presque en permanence. Les débordements instinctifs, de haine ou de luxure, aussi foudroyants qu’exceptionnels dont ils sont victimes y gagnent par contraste une intensité plus vive encore.
Dans A history of violence et Les promesses de l’ombre, Viggo Mortensen était, de par sa aura animale, l’instrument idéal de cette stratégie d’assaut à rebours. Qu’il soit à son tour neutralisé dans A dangerous method – jusqu’à son regard transperçant, éteint par des lentilles de contact – est le signe du stade supplémentaire atteint par Cronenberg avec ce film dans le renfermement des pulsions. Mortensen y prend les traits d’un Sigmund Freud qui est son contraire physique et qui nous apparaît le plus souvent immobile, voire engoncé dans le fauteuil de son bureau. Les sursauts de vie et de fièvre sont l’apanage des deux autres personnages centraux du récit, les plus jeunes Carl Jung et Sabina Spielrein. Cronenberg prend un malin plaisir à désexualiser totalement leurs interprètes, Michael Fassbender et Keira Knightley, en les garrottant eux aussi par l’apparence physique et les tenues strictes. Mais eux au moins ont droit à une liaison sadomasochiste d’où jaillissent des cris, du sang, des heurts corporels, autant de choses abolies du reste du film même sous une version plus soft.
De cette période (le début du 20è siècle) et de cette société (la bourgeoisie de l’empire austro-hongrois), Cronenberg dresse un portrait brillant, tout entier guidé par le réfrènement qui y était la norme. Autour des personnages momifiés dans l’obsession des apparences et du conformisme – Emma, l’épouse de Jung, étant le cas extrême et Otto Gross, le reflet mauvais du même, l’unique exception –, les paysages extérieurs et les lieux de vie reçoivent le même traitement épurant et au final asséchant. La quête souveraine de la transparence conduit les êtres à évoluer dans des décors nus, inertes, stériles, une terre de cauchemar pétrifié dont Cronenberg accentue encore la violence par sa mise en scène dépouillée et son élimination récurrente du flou (quand deux personnages sont à l’écran sur des plans différents, il fait en sorte de les rendre nets l’un et l’autre, ce qui n’est par défaut pas le cas). La description de la maîtrise filmique du cinéaste est complète une fois ajoutée à tout cela l’efficacité exemplaire de son découpage, qui insuffle au récit un élan et une fluidité jamais pris en défaut.
A dangerous method se concentre donc sur trois représentants de ce monde, Jung, Spielrein et Freud, dont il adopte pleinement la schizophrénie profonde et incurable. Tous sont des esprits brillants, à l’âme fracturée avec d’une part la conscience des grandes choses qu’il est possible d’accomplir et de révéler pour le bien de l’espèce – les percées dans ce domaine vierge et si prometteur qu’est la psychanalyse – et de l’autre les inclinations triviales, les contraintes arbitraires, les préjugés hérités de l’extérieur dont ils sont les jouets et qui les forcent à des choix toujours blessants et déficients. Comme eux, le film oscille entre ces deux bornes, entre la cime du génie des hommes et le précipice de leurs mesquineries et frayeurs. En termes de cinéma, le mouvement de balancier se fait entre des séquences dialoguées et façonnées à la perfection, qui nous immergent dans les méandres fascinantes de la psychologie humaine (et donnent matière à réfléchir et discuter de longues heures après la projection) et d’autres, moins nombreuses tout de même, où A dangerous method n’est pas loin de se faire prendre au piège de l’observation paresseuse des émotions les plus galvaudées à l’écran, sous la forme d’un énième drame sentimental. En cela, le film est trop solidaire de ses protagonistes. Il ne prend à aucun moment la hauteur suffisante pour se détacher d’eux et en faire les agents de thèmes plus vastes – ce qu’accomplissait superbement Les promesses de l’ombre. La restitution objective et fidèle, en laissant l’analyse critique en filigrane, de la mentalité d’une époque et des destinées de certains de ses plus illustres éléments est une décision certainement justifiable par l’évocation en conclusion de la menace se profilant à l’horizon de la Première Guerre Mondiale, jugement dernier qui va faire éclater en morceaux ce monde rigidifié à l’extrême. Mais on peut aussi y voir une arme à double tranchant, qui se retourne contre l’œuvre en étouffant son potentiel, nous laissant avec le sentiment qu’elle rate de peu le centre de sa cible.