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- Zodiac, de David Fincher (USA, 2007)
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Où ?
À la maison, en DVD zone 2 (l’édition simple ; malgré sa plastique aguichante – director’s cut, bonus à foison – la seconde édition, labellisée collector, n’en vaut pas réellement la
peine)
Quand ?
Samedi soir
Avec qui ?
Seul
Et alors ?
J’avais déjà écrit un premier billet (ici) au sujet de Zodiac,
axé sur les points de convergence avec le précédent chef-d’œuvre de David Fincher, Fight club. « Précédent », car après un nouveau visionnage à froid il faut
bien se rendre à l’évidence : Zodiac se bonifie de façon impressionnante avec le temps, dévoilant à chaque fois de nouvelles facettes de sa réussite. Prenons par
exemple son ouverture, dont la virtuosité laisse pantois. Sur fond de feu d’artifice du 4 juillet, le 1er meurtre du Zodiac impose en quelques plans les caractéristiques qui vont régir le film
pendant 2h30, à savoir une ambiance visuelle à la fois foisonnante et sourdement angoissante (avec une superbe lumière signée Harris Savides, le chef op de The yards) et une précision de chaque instant dans le détail des faits, sans concession
de type ellipse ou suppression de personnages secondaires.
Seulement après cette séquence arrive le générique, moins immédiatement impressionnant que ceux des précédents films de Fincher mais tout aussi époustouflant : un montage mené tambour
battant qui mène de front l’arrivée d’une lettre du Zodiac à la rédaction du San Francisco Chronicle et la présentation des membres de cette rédaction. Ce schéma inaugural, avec action
du Zodiac puis réaction de la société, va se reproduire à l’identique pendant toute la 1ère partie du film. Le Zodiac garde en permanence un temps d’avance sur ceux qui sont à sa poursuite et sur
la pesanteur de leurs enquêtes, qu’ils soient journalistes ou flics. Son exercice de la terreur est mécanique et foudroyant. Ses meurtres sont autant de scènes très sèches, au découpage net, et
dont la violence visuelle exacerbée et déchaînée (exécution au pistolet à bout portant, victime ligotée et lardée de coups de couteau frénétiques…) tranche avec la normalité tranquille et
ronronnante du reste du film, fait de vies de famille, de discussions entre collègues, de décors familiers.
Cet univers ordonné ne résiste pas longtemps aux assauts sauvages du Zodiac. Alors même que ce dernier disparaît du champ du film, sa présence menaçante amène tous ceux qui le cherchent – en vain
– aux confins de la folie, sous forme de paranoïa ou de quête obsessionnelle de l’identité du tueur. Le Zodiac se démultiplie (faux coup de fil, fausses lettres, meurtres attribués à tort),
s’immisce dans le corps du film (un superbe montage où ses lettres se superposent aux décors, tandis qu’en voix-off tous les acteurs principaux en lisent l’un après l’autre des extraits), et
réapparaît sur le chemin des personnages par hasard – et en pure perte à chaque fois en raison du manque de preuve. Car en vrai démocrate (par opposition aux fascistes de merde), Fincher
réaffirme dans chaque scène l’impérieuse nécessité de suivre les lois, allant jusqu’à faire un parallèle explicite et malin avec la logique de justice expéditive de L’inspecteur
Harry. Pas de fouille sans un mandat, pas de divulgation d’informations à des civils, pas d’arrestation sans preuves : le moteur du suspense du film est précisément ce problème
insoluble posé aux protagonistes, sommés de vaincre un adversaire qui ne respecte pas les règles du jeu. Le Zodiac tue sans mobile, sans rituel, sans logique – sans « majesté » non plus,
puisqu’il lui arrive de se rater.
Pendant ce temps, le film lui-même bifurque, zigzague, échappe à toute classification précise. Le coup de génie de Fincher est de parvenir à mélanger le grandiose et le banal si profondément
qu’on ne sait plus lequel prédomine. Des moyens énormes (une profusion de décors digne du Prince de New York, le film étalon en la matière, des images de synthèse en quantité)
sont mis au servie de la recréation de décors de la vie quotidienne tels que des bureaux et des maisons. Le scénario suit une enquête-fleuve, qui s’étale sur plus d’une décennie, en définitive
sans résultats probants. En chemin interviennent des séquences angoissantes mémorables – l’interrogatoire du suspect n°1, une visite dans la cave d’un soi-disant informateur – mais dénuées d’un
véritable climax.
Ce que Fincher a réalisé avec Zodiac, c’est en définitive un éloge de la vie quotidienne qui maintient dans le même temps en permanence celle-ci dans un état de
précarité pouvant basculer dans le chaos et la panique. Soit un film aux ficelles anciennes, mais appliquées en concordance avec son époque. Malgré sa durée plutôt courte (27 min) et son format
promotionnel, le making-of qui accompagne le film s’avère très intéressant car il capture en quelques phrases et concepts cette ambition profonde qui porte
Zodiac. Certaines traductions de cette ambition sont conscientes et explicitées par Fincher & co : l’envie de raconter la découverte par les américains de la
terreur au quotidien, et son corollaire évident qu’est le parallèle avec le 11 septembre. Mais on voit aussi dans ces images du tournage et dans ces interviews que
Zodiac rejoint, de manière semi-consciente cette fois, le besoin américain de raconter des histoires vraies et remodelées. Il s’agit du fameux storytelling,
dévoyé et décrié (à raison) de nos jours mais dont ce film rappelle qu’il s’agissait initialement de la raison d’être de Hollywood. Le cinéma y était le moyen de recréer des événements tragiques
charnières (ici les attaques du Zodiac) et des destins anonymes réalistes (les flics, les journalistes jusqu’au plus insignifiant) pour exorciser les premiers et célébrer les seconds. Il apparaît
de manière flagrante dans ce supplément que Zodiac apporte sa pierre à cette écriture en continu de la légende constitutive américaine ; et si le film est aussi réussi,
c’est sûrement, entre autres raisons, car Fincher était au moment du tournage conscient de – et motivé par – cette inscription de son long-métrage dans un cadre plus large.