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- Week-end de doubles (2/2) : William Friedkin (Bug, Cruising) et Johnnie To (Fulltime killer, Mad detective)
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Où ?
A la maison, en DVD zone 2 (Bug, Fulltime killer), et au cinéma (Cruising à l’Action Christine où il est ressorti en
copie neuve, Mad detective au Reflet Médicis)
Quand ?
Ce week-end
Avec qui ?
Seul pour les Friedkin et Mad detective, accompagné de mon frère pour Fulltime killer
Et alors ?
Après Friedkin, attaquons-nous donc à Johnnie To. On avait laissé ce dernier il y a 8 mois
avec Exilé, qui avait des allures d’achèvement d’un
cycle pour le cinéaste : réutilisation des mêmes acteurs que dans The
mission, son 1er grand succès, scénario très libre, hommage/grignotage chez des réalisateurs qui ne nourrissaient auparavant son style qu’en creux (Sergio Leone, Howard
Hawks, John Woo), mise en scène magistrale qui s’autorise tout, réussit tout. On était donc forcément curieux de voir quelle tournure allait prendre la suite ; Mad
detective apporte une réponse emballante, un renouvellement réel et jubilatoire.
Mad detective a été pour Johnnie To l’occasion de réactiver sa collaboration avec Wai Ka-Fai. Les 2 hommes ont réalisé ensemble 10 films entre 2000 et 2003 (!), et Wai
Ka-Fai semble apporter à To le grain de folie qui vient dérégler les belles machines, léchées et rigoureuses, que ce dernier met habituellement en scène. Fulltime killer
(cf. plus bas) était jusqu’à présent la réalisation la plus trépidante, émancipée et exaltée du tandem. Mad detective en est une autre, aussi inventive sur la forme mais
toutefois moins innocente – plus mélancolique, plus mature. Pour la 1ère fois, gentils et méchants appartiennent au même camp des flics ; de plus, ils sont tous frustrés, hystériques ou fous
à un certain degré, la palme étant détenue par le personnage principal, Bun (rôle en or pour Lau Ching-Wan, fidèle de To). Bun a le don de voir les « démons » des gens, leur
personnalité maléfique refoulée. Un don qui est aussi une malédiction : Bun a beaucoup du mal à distinguer le réel du monde des esprits, et en paye le prix aussi bien professionnellement
(viré de la police) que sentimentalement (quitté par sa femme).
Cette contamination du récit policier – l’intrigue consiste en la réintégration de Bun le temps d’une enquête, sur un flic soupçonné d’avoir tué son coéquipier puis commis une série de braquages
sanglants – par un élément imprévu est une porte d’entrée à l’éclatement du film en une multitude de genres : comédie, drame, fantastique s’entremêlent en pagaille. Ainsi, à côté des scènes
où apparaissent les 7 personnalités du suspect (schizophrène, vous l’aurez compris) et qui font basculer franchement Mad detective dans le film de fantômes, les
parasitages de la vie de Bun par l’irruption de démons caricaturaux, avec une prédilection pour les mégères hystériques, provoquent un rire massif et immédiat. Enfin, en filigrane, les angoisses
et les démons – au sens figuré cette fois – intimes de chacun prennent le pas sur l’enquête et une place prépondérante dans le film, jusqu’à mener à une conclusion glaçante de pessimisme sur la
nature humaine et son absence de libre-arbitre.
A cette débauche créative du contenu (influence Wai Ka-Fai) répond la rigueur méthodique de l’emballage (influence Johnnie To). Dans sa forme, Mad detective est en effet
une leçon de mise en scène, érigée autour d’une idée simple : aucune contamination visuelle entre les 2 perceptions du monde. Le point de vue adopté est la seule et unique règle suivie
par To, selon le principe d’équivalence point de vue de Bun = présence de fantômes (et vice-versa), point de vue des autres personnages = pas de fantômes. De là découlent tous les effets
comiques, tragiques ou inquiétants détaillés plus haut dans ce texte, effets auxquels le brio formel de To, déjà jouissif en soi, donne tout le poids nécessaire sans qu’il y ait besoin de longs
tunnels de dialogues explicatifs ou de transition. Il maîtrise à un tel point son sujet qu’il s’autorise même la gourmandise de nous présenter 2 scènes avec fantômes avant de nous avoir signifié
leur présence. A posteriori, il est particulièrement plaisant de s’être ainsi fait avoir. Mad detective est plié en moins de 1h30, dans un éblouissant final à base de
jeux de miroirs ; et sans être le meilleur long-métrage de son réalisateur, car dépendant un peu trop d’une unique idée, il lui ouvre cependant une nouvelle voie pleine de promesses.
7 ans avant Mad detective, Fulltime killer était déjà tout aussi fou – mais le portait plus sur lui. Mené tambour battant, ce récit d’un duel
entre 2 tueurs à gages (O, un japonais introverti et fantomatique, et Tok, un chinois exubérant et puéril) pour la place de n°1 fait l’effet d’une rafale ininterrompue de péripéties, de
rebondissements, d’images marquantes, doublée d’une mise en abyme sur le cinéma qui devient vertigineuse sur la fin. Les 2 co-auteurs jouent à plein sur le charisme de leurs interprètes (en
particulier la méga-star chinoise Andy Lau, utilisé ici comme George Clooney a pu l’être dans Hors d’atteinte) pour générer une adhésion immédiate chez le spectateur,
puis sur les bascules permanentes de l’intrigue et de la mise en scène pour maintenir cet enthousiasme jusqu’au bout.
Le cinéma est omniprésent dans le récit, d’abord via le personnage de Tok. Ce dernier est tellement féru de films policiers et d’action qu’il s’en inspire explicitement dans tous les aspects de
sa vie et de son travail. Réalisée presque à l’insu du film, cette greffe de la fiction dans la fiction prend des proportions inattendues dans le dernier acte. Un rebondissement brutal et génial
de scénario fait en effet basculer le film et ses personnages dans l’irréel, faisant jouer la conclusion sur plusieurs niveaux de lecture. Ludique et équilibriste, la manœuvre est aussi le plus
bel exemple à ce jour de la vision qu’a Johnnie To de son art. Le cinéma est pour lui un matériau malléable à l’envi ; un jeu dont les cartes peuvent être constamment rebattues.