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- Urgences, de Raymond Depardon (France, 1988)
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Où ?
À la maison, en DVD zone 2
Quand ?
Lundi il y a 2 semaines, en deuxième partie de soirée après Les
vacances de M. Hulot
Avec qui ?
Ma femme
Et alors ?
Ce qui reste à l’esprit après la vision de Urgences est la solitude abyssale des cas qui se retrouvent en ce lieu filmé par Raymond Depardon, les urgences psychiatriques de
l’hôpital de l’Hôtel-Dieu. Une solitude qui s’exprime dans tous les cas par une violence extrême ; au gré des malades rencontrés par le cinéaste au cours de ses heures de présence, cette violence
est retournée contre soi-même (apitoiement, dénigrement, désir de disparaître au propre ou au figuré…) ou jetée à la face des « autres », de tout ce qui leur est extérieur. Cela peut
bien sûr être la société prise dans son ensemble, par la paranoïa d’un complot, diffus ou très concret – les médecins, les flics ; mais l’extérieur peut aussi être pour eux une chose aussi vague
et vaste que le monde entier, voire le concept même de vie (« Je suis un incompris », « La vie ne vaut pas peine d’être vécue »). Ces personnes nous sont proches
par leurs souffrances et leurs psychoses, et dans le même temps terriblement éloignées dans l’expression que ce mal-être prend chez elles.
Depardon reproduit dans Urgences son dispositif habituel : une caméra placée physiquement le plus près possible de l’action qu’elle observe, mais qui s’astreint à rester
complètement extérieure à celle-ci en ne cherchant surtout pas à y prendre part, à en influer le cours. Sauf que cette fois, à plus d’une reprise le réalisateur et/ou sa preneuse de son sont pris
à parti par les hommes et les femmes filmés. C’est parfois violent, d’autres fois calmement et posément désespéré ; toujours, il ne s’agit que d’une réaction incontrôlée à la présence, enfin, de
quelqu’un qui s’intéresse à vous avec de la bienveillance ou à tout le moins de la neutralité. De telles apostrophes sont également présentes dans le récent La vie moderne ; mais leur signification dans
Urgences est radicalement différente car Depardon n’y provoque cette fois absolument pas cette brisure du « mur » cinématographique. C’est donc la preuve d’un grand
courage et d’une grande honnêteté que d’avoir laissé ces instants, qui sont parfois des scènes entières, au sein du montage final. Ils rendent plus palpable encore le caractère inouï du travail
au quotidien des médecins qui côtoient et soutiennent jour après jour ces patients. Urgences est cohérent en cela du fil directeur de l’ensemble de l’œuvre du cinéaste :
l’admiration silencieuse pour la majesté méconnue de corps de métier ingrats, qu’ils soient substituts du procureur, agriculteurs, psychiatres de garde.
Les deux derniers métiers cités partagent un même statut de point limite de la quête de Depardon : limite physique pour les agriculteurs, esseulés dans des terres que plus personne d’autre ne
parcourt jamais (et que la majorité des gens aimeraient même effacer de leur mémoire collective) ; et frontière mentale pour les psychiatres, confrontés en permanence au point de bascule entre
l’aptitude à fonctionner dans la société, et la folie qui vous renferme sur vous-même. Il y a clairement chez Depardon quelque chose de l’ordre de l’émerveillement à voir ces psychiatres réagir
sans violence ni mépris face aux problèmes de ces individus à la dérive ou au bord de le devenir, en leur proposant avant toute autre chose une écoute. Il nous transmet sans réserve son
émerveillement pour eux, en même temps que leur empathie qui déteint sur lui (lorsqu’il accepte d’être pris à parti, de sortir de sa confortable neutralité de documentariste) et sur nous à
travers lui. Vingt-et-un ans après la réalisation du film, dans une société devenue largement plus obsédée par la rentabilité et le caractère fonctionnel des choses et des gens, une telle posture
humaniste – du corps de métier observé, et du cinéma qui observe et témoigne – est d’autant plus rare et vitale.