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- The legend of Lylah Claire, de Robert Aldrich (USA, 1968)
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Où ?
A l’Action Christine
Quand ?
Début novembre
Avec qui ?
Seul
(note : les illustrations de cet article sont en noir et blanc, mais le film est en couleurs)
Et alors ?
J’ai évoqué il y a quelques jours dans l’introduction de mon billet consacré au Vertigo de Hitchcock que les variations plus ou moins conscientes
autour de ce film majeur ont été nombreuses chez les cinéastes. La première d’entre elles date possiblement de dix ans après la réalisation de Vertigo, et est le fait de
Robert
Aldrich sous le nom de The legend of Lylah Claire (oublions sans plus attendre le titre français Le démon des femmes et ses relents misogynes). Lylah
Claire est une actrice hollywoodienne (imaginaire), morte mystérieusement au faîte de sa célébrité que son mari / réalisateur cherche obsessionnellement à faire revivre le temps d’un film de
fiction consacré à elle, avec dans son rôle une inconnue, Elsa Brinkmann, qu’il va remodeler à son image. Pour ceux de mauvaise foi qui auraient encore des doutes quant à la similitude entre les
intrigues du film et de son modèle, ajoutons que la mort de Lylah Claire est due à une chute maquillée en suicide et surtout que l’actrice choisie par Aldrich pour interpréter ce double rôle est
Kim Novak, la Judy/Madeleine de Vertigo. Difficile de faire plus évident.
L’histoire de fantôme et de possession issue de Vertigo pénètre très
vite le récit de The legend of Lylah Claire – dès la séquence du générique, qui montre Elsa marcher sur Hollywood Boulevard jusqu’à mettre littéralement ses pas dans ceux de Lylah
Claire, figés dans le goudron devant l’entrée du Chinese Theatre. Mais cette histoire est pendant longtemps enrayée par une autre intrigue, d’inspiration différente : une charge
anti-hollywoodienne primaire menée par Aldrich avec la même rage aveugle que dans Le grand couteau. Si les quinze années écoulées entre les deux films permettent au second d’être plus
explicite dans ses accusations (diktat des performances commerciales, relations de quasi esclavage au sein des studios, immense pouvoir de destruction des chroniqueurs mondains…) et ainsi moins
nébuleux, le problème du manque d’intérêt concret d’un tel règlement de comptes reste inchangé. A fortiori entre les mains d’Aldrich, lequel n’a jamais eu le talent pour l’ambiguïté d’un
Billy Wilder ou d’un Vincente Minelli qui donne à leurs films
sur les cadavres dans les placards de l’industrie du rêve en cinémascope (respectivement Boulevard du crépuscule et Les enchaînés) une toute autre envergure.
Cette stratégie brute du tir de barrage ininterrompu trouve cependant un soutien de poids dans la possession d’Elsa par l’esprit de Lylah, de plus en plus marquée à partir du moment où débute le
tournage du film dans le film. Aldrich donne de la sorte un visage à sa diatribe, en l’incarnant sous les traits de la victime expiatoire qu’est Elsa. Car contrairement à Scottie dans
Vertigo, le personnage masculin de The legend of Lylah Claire, Zarken, possède les dons artistiques, les moyens, la légitimité – en somme les pleins pouvoirs –
pour mener à bien son entreprise de recréation d’une morte (Lylah) au prix de l’anéantissement d’une vivante (Elsa). Scottie faisait du cinéma amateur en solitaire, Zarken peut s’appuyer sur tout
l’arsenal de la machine de guerre hollywoodienne. The legend of Lylah Claire suit en conséquence une logique proche de celle du cinéma d’horreur cynique, où un personnage seul et
globalement impuissant tente aussi longtemps que possible de résister au rouleau-compresseur qui l’a pris pour cible, dans une lutte inégale et vouée à l’échec. Le physique et le visage de Kim
Novak, plus girl next door que sex-symbol, s’inscrivent à merveille dans cette perspective. De même, la mise en scène baroque et extravagante d’Aldrich – qui explose sous nos yeux dans
les deux scènes de flashbacks mais contamine en réalité le moindre plan du film, que ce soit par la surcharge d’un décor, un maquillage abusif, la place prépondérante donnée à un accessoire, un
cadrage brutal… – s’avère être le vecteur idéal pour une terreur d’autant plus frappante qu’elle est outrancière.
Mais Hollywood ne se limite pas aux producteurs et aux réalisateurs qui y travaillent ; les spectateurs qui reçoivent leurs images, et qui les réclament, jouent un rôle tout aussi grand dans
cette mascarade meurtrière. Cet horizon plus large était absent de Vertigo (Scottie y faisait son film pour lui seul), mais il ne peut être occulté à l’époque de The legend
of Lylah Claire en raison de la place – déjà – prépondérante prise par la télévision, caisse de résonance des besoins des spectateurs et ogre jamais rassasié en images neuves – en chair
fraîche. Zarken le découvrira à ses dépends, après avoir causé de manière semi-volontaire la mort d’Elsa (possiblement pour ne pas entraver la pureté du fantôme de Lylah qu’il est parvenu à
capturer dans son nouveau film). Il devient alors à son tour une victime, un pion dans un jeu qui le dépasse ; un programme minuté pour conclure une émission avant de passer à une page de
publicité pour de la pâtée pour chiens. Laquelle publicité vient purement et simplement escamoter le film, en le privant de son épilogue et le faisant basculer de façon explicite dans l’horreur
jusque là seulement effleurée. L’allégorie choisie par Aldrich (une meute de chiens enragés) ne s’embarrasse pas de finesse, mais c’est dans ce genre d’acte sanguin que le cinéaste est à son
meilleur.