• Sky crawlers, de Mamoru Oshii (Japon, 2008)

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vlcsnap-32524Où ?

A la maison, en DVD zone 2 (depuis Innocence, les films d’Oshii ne sortent malheureusement plus en salles)

Quand ?

Vendredi soir

Avec qui ?

Mon frère

Et alors ?

 

Drôle de guerre. Tous les conflits armés ont bien sûr un noyau commun fait d’absurdité et d’inanité, mais celui dépeint par Mamoru Oshii dans Sky crawlers a de quoi
servir de nouvelle référence. La compréhension pleine et entière de la nature des belligérants ainsi que des règles implicites qui régissent leur affrontement étant l’une des essences du
scénario, il n’est pas question d’en révéler une quelconque part ici. Disons juste que la relecture du 1984 d’Orwell à un âge où les rivalités économiques ont supplanté leurs ancêtres
idéologiques est aussi exacte et glaçante que l’original.

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Cette guerre qui n’en finit jamais est vue à travers les yeux de ceux qui y sont en première ligne, les pilotes des avions de combat. Sky crawlers se partage entre
l’adrénaline des escarmouches là-haut dans les nuages, et la monotonie de la vie au sol, à la base et dans les rares lieux de distraction alentour, dans l’attente de la prochaine alarme et du
prochain briefing. Cette scission profonde entre les deux parties des vies des personnages prend concrètement forme devant nos yeux, par la réalisation des scènes de combat aérien en 3D et du
reste en 2D. Le symbole – les héros ne s’animent qu’aux commandes de leurs appareils – serait un peu balourd si la vérité qu’il recouvre n’était elle-même dilatée, radicalisée. Ceux qui sont
familiers avec la filmographie d’Oshii reconnaîtront dans le monde de Sky crawlers un possible niveau supplémentaire au réseau tressé dans
Avalon, à ce jour le chef-d’œuvre du cinéaste. Les personnages y sont une fonction (gagner les batailles successives) avant d’être un caractère, et le champ de liberté
qui leur est laissé en dehors de leurs missions est squelettique en même temps que répétitif : un diner pour boire et manger, une maison close pour… faire ce que l’on fait dans une
maison close, tiens. Plus loin dans le film, une ville plus grande dans laquelle ils sont mutés le temps d’une mission d’envergure sera tout autant réduite à un ou deux endroits fréquentés,
vivants.

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Les pilotes sont rendus aussi virtuels que les lieux qu’ils arpentent par ce qui les définit avant toute autre chose. Ils sont des Kildren, des enfants qui ne deviendront jamais adultes
suite à des tests génétiques ayant mal tourné. D’erreurs déplorables, ils sont devenus des atouts précieux une fois que leur a été trouvée cette tâche à exécuter, de faire la guerre au nom des
« vrais » humains. L’allégorie sur le thème de notre aptitude à la discrimination spontanée (ici légitimée par un truisme trompeur : « Alors quoi cela sert-il de vieillir quand
on est là pour faire la guerre ? »
) est brillante ; la séparation entre le monde des Kildren qui font la guerre et celui des individus pour lesquels est faite la guerre étant
aussi marquée que, disons, celle dans notre réalité entre le monde de ceux qui fabriquent les produits et le monde de ceux qui les consomment. Oshii fait de l’implosion de cet univers clos et
factice le but de son histoire, et non un rebondissement soudain de scénario comme cela a pu être réalisé dans une poignée de jeux vidéo intelligents (la série des Metal gear solid, par
exemple). Sky crawlers démarre dans une ambiance de malaise – quelque chose cloche, mais quoi ? –, et avance guidé par ce même malaise, qui s’amplifie à mesure que
spectateurs et personnages passent ensemble à travers le miroir des mensonges et des non-dits.

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Chaque pas en direction de la vérité ne se solde ni par un regain d’espérance, ni par une ferveur nouvelle. Les dés régissant la vie des Kildren sont jetés depuis bien trop longtemps, et
ceux qui les ont jetés évoluent dans des sphères bien trop inaccessibles (y compris pour le spectateur) pour que la prise de conscience puisse déboucher sur une forme quelconque de réplique
énergique. Le rythme mélancolique insufflé par Oshii est le vecteur idéal pour décrire cette condition spoliée et nostalgique – mais sans aucun état antérieur précis sur lequel les personnages
peuvent fixer leur nostalgie, ce qui rend leur situation encore plus triste. Ce rythme, c’est véritablement la marque de fabrique du cinéaste, plus encore que sa capacité unanimement célébrée à
peindre à l’écran des tableaux époustouflants – ce qui est une nouvelle fois le cas ici, quasiment toutes les scènes étant composées visuellement par variation autour d’une couleur (rouge, gris
clair, beige…) pour un résultat sublime.

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Ce rythme est porteur d’un entendement personnel et affirmé du monde des humains. De film en film, il traduit la crainte profonde d’Oshii que ce monde et nos vies soient en réalité vides de
sens ; que toutes les consciences, les mémoires, les émotions qui nous constituent ne soient que des mirages. Jamais cette angoisse n’a atteint un tel degré que dans Sky
crawlers
, dont la conclusion (après le générique ; c’est important) révèle un récit construit en boucle et non en ligne droite. Une histoire sans fin effroyablement parfaite. Il n’y
avait dès lors effectivement aucune raison de hâter le pas le long du chemin.

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