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- Scènes coupées et chairs déchiquetées
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Où ?
A la maison (DVD zone 1 pour Phénomènes, zone 2 pour Martyrs)
Quand ?
Le week-end dernier
Avec qui ?
Seul
Et alors ?
Peut-on se tromper quant aux scènes que l’on choisit de retirer de son film ? Visiblement oui, si l’on en croit ce que nous montre le DVD de Phénomènes. Sur les quatre scènes
coupées de cette édition, deux sont des versions alternatives de séquences présentes dans le montage final, et les deux autres sont des scènes inédites qui y avaient tout à fait leur place. Une
seconde vidéo « youtube-isée » d’un suicide horrible et dérangeant (à l’aide d’un archet de violon) s’avère ainsi beaucoup plus dérangeante que celle retenue, de l’homme pénétrant à
dessein l’enclos aux lions d’un zoo. Mais il s’agit là d’un point anecdotique par rapport à la décision de Shyamalan de retirer purement et simplement la séquence introductive qu’il avait
imaginée pour le film. Ce dialogue long et intime (les difficultés de leur mariage, leurs doutes personnels) entre les deux personnages principaux ne colle certes pas à l’ambiance apocalyptique
du quart d’heure qui suit et de son enchaînement de suicides collectifs. Il est tout aussi vrai, comme Shyamalan l’indique dans son introduction à la section des scènes coupées, que tout ce qui
est dit dans cette scène se voit répété plus tard dans le récit. Malgré tout, cette séquence avait l’immense qualité de poser d’entrée l’ensemble des intentions du film, sur les plans formel,
thématique et d’introspection des personnages. Une telle scène aurait sûrement permis d’empêcher la naissance, plus tard dans l’intrigue, du fossé d’incompréhension entre une bonne partie du
public et un film qui abandonne peu à peu ses habits de slasher pour dévoiler des ambitions plus intimistes.
À noter que les autres suppléments, sans être révolutionnaires, se situent au-dessus de la moyenne habituelle des productions hollywoodiennes. Je pense en particulier aux deux modules décrivant
dans le détail et sans commentaires superflus le tournage de deux scènes fortes du film, avec un aperçu de l’attitude et de la méthode du réalisateur sur son plateau. Et à part ça, pour ce qui
est du film en lui-même, il gagne définitivement en profondeur et en puissance à chaque nouvelle vision (voir ici mon texte à ce sujet). À son sujet de fin du monde, Shyamalan adosse
une mise en scène et un script de fin du monde, dépouillés pour la première de tout effet de manche et pour le second de tout rapport humain lumineux et altruiste.
À l’autre bout du spectre des cinéastes d’horreur par rapport à Shyamalan, on trouve le français Pascal Laugier et son deuxième long-métrage, Martyrs. Shyamalan est un génie du
septième art, mais incapable d’assumer pleinement la violence viscérale et frontale qui constitue l’horizon ultime du genre comme le montrent sur le DVD ses états d’âme au sujet d’un plan pour
une fois explicitement gore. Dans Martyrs, Laugier donne à cette monstruosité et à cette sauvagerie une place exceptionnelle ; ce à quoi il manque l’adjonction d’une maîtrise
cinématographique plus large pour faire du film un succès sans réserves. L’idée la plus démente et dès lors la plus brillante du réalisateur se situe lorsque, après un prologue plutôt convenu, un
carnage définitif et viscéral (en temps réel, sanglant au possible) fait voler en éclats un modèle familial à peine mis en place, consensuel et en apparence inoffensif. Le film a démarré depuis
moins d’un quart d’heure, et nous voilà sans la moindre idée de ce qui peut se produire après ça. Rien que par cette scène, Martyrs mérite sa petite citation dans le
livre d’or du genre.
La suite est du même tonneau, jusqu’à un certain stade. Très inspiré par son concept de départ, Laugier enchaîne, toujours selon la même logique d’à-coups déstabilisants au possible, de
saisissantes bifurcations de scénario. Pour notre plus grand bonheur (de cinéphiles aimant être bousculés) et notre plus grand malheur, face à l’étalage de corps meurtris et présentés avec un
niveau de détail chirurgical, il s’en tient sans faux-semblants aux deux règles simples édictées en ouverture. Tout d’abord, il nous laisse reconstituer de nous-mêmes les atrocités passées subies
par les martyrs héroïnes (séquestrées enfants et soumises à des conditions de détention inhumaines) à partir de l’horreur de leur situation présente, qui les voit lacérées dans leur chair et/ou
anéanties dans leur âme. De plus, il expose à notre vue ces séquelles physiques et mentales de la manière la plus crue qui soit. Le degré de réalisme de leurs hallucinations monstrueuses et de
leurs souffrances intérieures justifie à mes yeux le débat houleux qui a eu lieu autour de la classification à donner au film (interdit aux moins de 16 ans avec avertissement, ou aux moins de 18
ans ?), d’autant plus que cette violence organique est présentée dans un écrin de cinéma des plus réussis – où l’environnement sonore, les décors, le montage sont des outils utilisés au maximum
de leurs possibilités.
La controverse sur la « censure » du film au moment de sa sortie est prolongée dans un des bonus du DVD, et prend malheureusement des airs de dialogue de sourds. Les membres de la
commission de classification s’en tiennent à une vision purement étriquée de leur rôle, et se lavent les mains des conséquences, dans le système de diffusion actuel, d’une interdiction aux moins
de 18 ans sur la viabilité économique du film ; en face, les défenseurs de Martyrs montent immédiatement sur leurs grands chevaux et en appellent à la « vision
d’auteur », la « liberté » et autres notions majuscules sans se soucier de leur donner un sens, un poids. À la charge des créateurs du film, les autres suppléments (entretien avec
Pascal Laugier, making-of) confirment cette attitude pédante et imbue d’eux-mêmes qu’ils exhibent. Cette manière exagérée de jouer au cliché de l’artiste irrite d’autant plus qu’elle ne se
traduit pas dans le film par le déploiement de la réflexion nécessaire pour rendre le dernier acte convaincant. Les images viscérales, directes, urgentes du début (genre dans lequel Laugier
excelle) y sont remplacées par un autre temps cinématographique, plus étiré, avec des ellipses, des personnages qui évoluent volontairement ou contre leur gré. Mais Martyrs ne
prend pas alors pour autant plus de distance vis-à-vis de ce qu’il filme, se privant dès lors d’un point de vue sur le fond du sujet. C’est pourtant là exactement ce que l’on attend d’un
réalisateur décidant de traiter sur un mode réaliste d’un monde clos peuplé de bourreaux ne faisant « que leur travail » et de victimes torturées selon des méthodes qui dépassent
l’entendement, dans un but pensé comme « supérieur ». Une véritable profondeur psychologique aurait été la bienvenue.
Quelques mots encore sur le making-of, très long, exhaustif et se frayant une place au plus près de la fabrication au quotidien du film ; mais qui confond parfois durée et intérêt des images. Ce
document fait penser au récent The wrestler, car
il présente des individus prêts à subir sciemment des violences physiques – cascades, combats à mains nues – et psychologiques (les sautes d’humeur et les consignes exagérées du cinéaste)
intenses, au seul motif de présenter un spectacle de qualité à une audience. Tel n’était certainement pas le but du réalisateur du making-of, mais le rapprochement thématique est évident, et le
passage sur un même sujet de la fiction (chez Aronofsky) à la réalité pure et dure, ici, est passionnant.