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- Pour toi j’ai tué, de Robert Siodmak (USA, 1948)
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Où ?
Chez moi, en DVD
Quand ?
Mardi soir
Avec qui ?
Mon compère de cinémathèque / films noirs
Et alors ?
Il y a une part de snobisme dans le choix de Carlotta de présenter sous son titre original, Criss-cross, un des films noirs de leur catalogue à être pour une fois sorti en salles en
France à l’époque, sous un très beau titre qui plus est : Pour toi j’ai tué. Moins prestigieux que Les tueurs, l’autre grand classique de
Siodmak, Pour toi j’ai tué lui est – légèrement – supérieur car plus abouti. Comme je l’explique ici, Les tueurs pose certaines
bases-clés du film noir, mais n’en profite pas entièrement lui-même, en partie à cause d’un reste de déférence envers la morale bien-pensante qui se manifeste dans le personnage de l’agent
d’assurances. L’univers des gens « normaux » dont ce dernier était le représentant est rayé de la carte dans Pour toi j’ai tué, qui nous immerge entièrement
dans l’underworld criminel, faisant de tous ses personnages jusqu’au moindre rôle secondaire (ainsi le cuisinier chinois accro aux courses, la pilier de bar alcoolique et désabusée) des
membres de cette société parallèle et nocturne.
Pour toi j’ai tué décrit le destin fatal d’un homme et d’une femme piégés dans ce monde et broyés par les forces violentes qui y sont à l’œuvre et dénaturent tout.
Malgré leurs bonnes intentions, Steve et Anna creusent un peu plus leur tombe à chaque initiative qu’ils prennent pour tenter d’échapper à cette vie. Chose rare dans un film noir, ils s’aiment
d’un amour sincère – l’urgence du premier plan et le lyrisme du dernier l’énoncent avec force. Chose rare dans un film tout court, leur romance est complexe et mouvementée : ils ont déjà été
mariés dans le passé, se sont séparés mais restent irrémédiablement attirés l’un à l’autre, malgré (ou pour ?) leurs défauts respectifs. Le romantisme de Steve est égal à sa confiance
aveugle envers les individus peu recommandables qui l’entourent. Quant à Anna, elle ne fait pas mystère de ses penchants frivoles, et dévore la vie dans l’instant présent sans se croire redevable
vis-à-vis de qui que ce soit. Sa première apparition, sur la piste de danse d’un bar surchauffé où elle déploie une sensualité totale et déchaînée, est un de ces grands moments de désir et de
danger mélangés dont seul le film noir sait nous abreuver.
Ces 2 personnalités imparfaites et vulnérables sont interprétées sans filet par Burt Lancaster et Yvonne de Carlo, dont les performances à fleur de peau tranchent tout d’abord avec la tendance à
l’archétype du genre, puis s’imposent naturellement à mesure que Steve et Anna gagnent en consistance. La réussite du film repose sur cette innocence (sentimentale pour lui, charnelle pour elle)
des personnages et des comédiens, car Siodmak construit autour d’eux une structure formelle et scénaristique remarquablement cohérente et dont la noirceur deviendrait excessive sans contrepoids.
La structure en flash-back des Tueurs est reprise ici non pour résoudre un mystère, mais pour relater les coups du sort successifs qui ont conduit les personnages vers
ce braquage d’un fourgon blindé promis à l’échec. L’étalement du flash-back sur plusieurs mois appuie de manière sourde l’incapacité des personnages à échapper à leur condition, ce dont les
décors – faits d’une succession de perspectives fermées, de murs aveugles, d’architectures saillantes, métalliques, impersonnelles – et la musique déchirante de Miklos Rosza se chargent également
dans chaque scène. La communion réalisée par Siodmak entre le son et l’image, déjà pointée dans Les tueurs, trouve ici un nouvel aboutissement qui confirme que le
cinéaste allemand était l’un des plus puissants créateurs de pures formes cinématographiques de l’époque.
Les 2 séquences qui suivront le flash-back et clôturent Pour toi j’ai tué font l’effet d’une perverse apothéose : l’absence d’issue pour Steve et Anna est tellement
définitive que l’apparence même du monde autour d’eux devient cauchemardesque. L’attaque du fourgon a lieu dans un brouillard digne de Macbeth, et les règlements de comptes mortels qui
viennent ensuite au sein du gang transforment l’aventure du couple en calvaire allégorique. Les blessures successives qu’ils subissent font d’eux des martyrs, piétinés par un monde bien trop
impitoyable pour eux comme pour tous les paumés fragiles dont ils sont le symbole.
Un superbe film noir, avec une Yvonne de Carlo, délicieusement vénéneuse, qui envoûta le beau Burt dans une sensuelle rumba !