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- Orfeu negro, de Marcel Camus (Brésil-France, 1959)
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Où ?
A la maison, en DVD zone 2
Quand ?
Le week-end dernier
Avec qui ?
Seul
Et alors ?
Le cinéma comme lieu du fantasme, acte 3. Après en avoir exploré deux exemples américains et contemporains, Inland Empire et Che, remontons d’un demi-siècle dans le temps et
changeons d’hémisphère pour aller en trouver une autre expression, tout aussi forte. Dans Orfeu negro, vainqueur de la Palme d’Or au Festival de Cannes en 1959, le réalisateur
français Marcel Camus transpose le mythe d’Orphée et Eurydice dans une favela de Rio de Janeiro. Il adapte pour cela une pièce brésilienne, écrite par Vinicius de Moraes. Orfeu
negro se distingue car il trace sa propre voie à l’écart des deux façons les plus communes d’intégrer un conte classique dans un récit de cinéma – qui sont de donner l’illusion que l’on
invente le conte en question, en le faisant ne faire qu’un avec le scénario ; ou au contraire de jouer sur la mise en abyme, en explicitant l’existence préalable du conte, voire même dans
certains cas la conscience qu’en ont les personnages se trouvant au cœur du drame. Orfeu negro se place quelque part entre ces deux sentiers bien définis. L’intervention de
l’adjoint au maire chargé des mariages, qui déclare devant l’Orphée de l’intrigue venu pour épouser sa fiancée Mira « mais Orphée ne peut aimer qu’Eurydice ! » rend le
film et les personnages conscients de la préséance du mythe antique ; mais dans le même temps, ceux-ci vivent leur vie en dehors du conte, sans attendre de celui-ci qu’il dicte leurs actes.
Cette opposition entre innocence et clairvoyance est une parmi plusieurs très marquées qui structurent le film : la nuit et le jour, la vie et la mort, le centre de la ville et les favelas
qui l’encerclent. Orfeu negro ne présente aucune recherche de compromis, d’amalgame. La nuit est aussi noire est menaçante que le jour est gorgé de soleil, les émotions et
pulsions des vivants (amour, haine, rire, détresse) débordent d’autant d’énergie que celle que la mort met à être violente et fulgurante. Il est un événement dans la vie des personnages au sein
duquel ces expériences antagonistes entrent dans une collision brutale : la danse. L’intrigue prend place en pleine effervescence des derniers préparatifs du carnaval, puis de la
matérialisation de celui-ci, théâtre d’une phénoménale déflagration de sons, de couleurs, de déhanchements, d’harmonies. En leur offrant une large couverture et en s’y prenant très tôt dans le
film (une première séquence de musique et de danse d’entrée, puis plusieurs autres qui suivent en montant crescendo en durée et en intensité jusqu’au carnaval), Marcel Camus confère à ces scènes
d’exultation collective une place centrale dans le film, pour elles-mêmes et comme support du récit.
Telles des séquences de suspense chez Hitchcock et de fusillades
dans les meilleurs westerns, les moments dansés d’Orfeu
negro sont en effet le siège de tous les basculements majeurs de l’intrigue – première rencontre d’Orphée et d’Eurydice, naissance de l’idylle entre les deux héros, poursuite d’Eurydice
par la Mort, tentative finale désespérée d’Orphée de la récupérer. Cela donne une ardeur et une identité uniques au film, qui sont encore renforcées par l’énergie folle que ces scènes génèrent
intrinsèquement. Les rythmes de la bossa nova et la virtuosité des danseurs annihilent toute résistance et nous entraînent dans leur irrésistible sarabande. Marcel Camus parvient à merveille à
faire transparaître comment celle-ci magnifie toutes les émotions, les positives (amour, sensualité, plaisir) comme les plus menaçantes (haine, jalousie, présence écrasante de la foule). Devant
sa caméra, Orfeu negro donne à voir l’humanité dans toutes ses passions, tous ses excès – exactement comme un récit mythique. Le retour à la froide réalité qui s’opère sans aucun
signe avant-coureur une fois tus les ultimes échos du carnaval, dans les deux dernières séquences de la visite à la morgue et de l’accident final, n’en est que plus horrible. Le carnaval et la
musique y paraissent dans leur perverse dualité, idéaux inaccessibles à la poursuite desquels les hommes se brûlent tel Icare visant le Soleil. Dans le dernier plan, la relève immédiate d’Orphée
par un trio de jeunes garçons et filles apporte la touche finale à ce conte moderne : l’ironie devant l’absence manifeste d’apprentissage des erreurs passées. Mais la musique est si douce et
entraînante…