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- Nuit de chien, de Werner Schroeter (France-Portugal-Allemagne, 2008)
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Nuit de chien est aussi fidèle à son titre qu’un film peut l’être. La nuit en question est celle, sans fin, vécue par Ossorio (Pascal Greggory), de retour dans son pays
consumé par une guerre civile / coup d’état dans l’espoir de retrouver Clara, la femme qu’il a aimée et de repartir avec elle. Le pays en question est imaginaire, et les troubles qui le ruinent
sont allégoriques ; aucun détail factuel ne nous est donné et pourtant on saisit tout de ce qui se passe. C’est un prototype de guerre civile que Werner Schroeter échafaude à notre
intention, immémorial et applicable à l’envi sur des situations réelles. Au sein de ce modèle, Clara restera jusqu’au bout une chimère, un mobile factice ne servant qu’à mener Ossorio de
rencontre en rencontre dans cette contrée ayant atteint la phase terminale de son extinction. Ossorio est notre guide, notre témoin de ce chant du cygne, de manière similaire au personnage de
Maria dans le récent White material. L’unité de temps est plus resserrée et
celle de lieu plus lâche dans Nuit de chien, mais les forces à l’œuvre sont bien les mêmes.
Sur un plan plus artistique, les deux films partagent un autre point commun : tous deux se sont avérés plus accessibles et francs que je ne l’avais imaginé a priori. Pour Nuit de
chien la construction linéaire, par enchaînement de saynètes, participe à cette spontanéité narrative. L’atmosphère dans laquelle les différents fragments du drame prennent place
nous amène elle aussi en terrain connu, puisqu’elle fait écho aux fameux films crépusculaires d’après-guerre d’Orson Welles – Mr.
Arkadin, La soif du mal. Comme Welles, Schroeter donne à la décadence et à la désillusion ce même aspect étonnamment spectaculaire, sidérant
plus que désolant. Il magnifie la force de chaque plan, chaque situation ; par l’architecture des décors, monumentale ou au contraire extrêmement dépouillée, par les choix d’axes de caméra
toujours très démonstratifs, par une photographie faite de décisions tranchées quant à ce qui doit être mis en valeur ou non par la lumière qui éclaire la scène. A situation exceptionnelle (le
coup d’état), mise en scène exceptionnelle, en somme. Et Schroeter ajoute à cette fin un élément supplémentaire à sa palette visuelle, par rapport à Welles : la couleur. Les couleurs, en
fait, tant celles-ci sont le plus souvent appliquées par plaques primaires, unies qui découpent l’image et la brutalisent. Les arrangements, les harmonies ne sont plus de mise, tout est
inévitablement abrupt et péremptoire en de tels temps de crise aiguë.
Exposé de la sorte, l’affrontement militaire en cours se mue en une scène de théâtre, sur laquelle les hommes montent pour jouer un rôle, à la fois tragique et grotesque, qu’ils imaginent être
celui de leur vie. Tous les protagonistes plus ou moins gradés croisés par Ossorio, et Ossorio lui-même, s’engagent dans cette pantomime, cette parodie de vie forcément aiguillonnée vers les
extrêmes. Tous aspirent au tragique, évidemment, mais tous s’abîment dans le grotesque. Mus par l’urgence liée au sentiment que la mort est proche, ils délaissent les objectifs à trop long terme
tels que la défense d’idéaux politiques ou la victoire sur l’adversaire pour se consacrer à l’assouvissement de pulsions plus immédiates, liées à un instinct animal d’ordinaire tenu sous
contrôle. Il n’est finalement question dans Nuit de chien que de sexe (consenti ou contraint – en aparté, le sort réservé aux femmes tout au long du film est aussi
sévère qu’il l’est en réalité dans ce genre de circonstances), de violence, d’autodestruction. Le regard porté par Schroeter sur ces bêtes déguisées en hommes et qui redeviennent des bêtes est
désabusé mais aussi distant, étonné. Un étonnement dû au fait que la mort est pourtant toujours là, certaine, ainsi que le dit la réplique du Jules César de Shakespeare prononcée en
ouverture et en clôture du film : « De tous les prodiges dont j’ai jamais entendu parler, le plus étrange, pour moi, c’est que les hommes ont peur, voyant que la mort est une
fin nécessaire qui doit venir quand elle doit venir ». L’homme doué de raison n’a donc pas à craindre la mort au point de se déshumaniser si radicalement à son approche.
Werner Schroeter est mort le 12 avril dernier, et Nuit de chien est son dernier long-métrage. La citation de Shakespeare est on ne peut plus appropriée pour un tel
épilogue artistique.