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- Max et les Maximonstres, de Spike Jonze (USA, 2009)
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Où ?
Au ciné-cité les Halles, dans une des trois très grandes salles
Quand ?
Jeudi soir
Avec qui ?
Ma femme, et un public majoritairement trentenaire branché
Et alors ?
Max et les Maximonstres est une de ces œuvres presque inviolables par le travail du critique, placé sur la défensive de la première à la dernière ligne de son texte par
l’obligation de faire attention à ne pas user de l’adjectif « beau » ou d’une de ses variantes une phrase sur deux. Car Max et les Maximonstres possède la simplicité et
la beauté (aïe, ça commence) d’un poème, d’un conte. Jusque là rien de bien étonnant, pensez-vous, puisqu’il s’agit précisément de l’adaptation d’un conte pour enfants, un livre illustré
écrit par Maurice Sendak en 1963. Mais préserver sur quatre-vingt-dix minutes de film l’essence et la légèreté d’un album de quarante planches et d’une centaine de mots est une tâche tout sauf
gagnée d’avance. Il faut savoir éviter les explications à rallonge, les transitions sans intérêt, et tous les autres moyens qui existent de verbaliser ou représenter ce qui a cours, sans jamais
être prononcé ni imprimé, tant que dure l’action de recouvrir une page par la suivante. Il faut savoir faire murmurer les images plutôt que déclamer les personnages.
Spike Jonze sait le faire. Pour deux raisons : car il a fait ses armes dans un genre qui fauche à la racine la tentation de surexploiter les dialogues (le clip musical, pratique qu’il exerce
toujours avec toujours de nouvelles idées – signalons aussi ce
court-métrage qui laisse sans voix, également avec Kanye West), et car il est à son aise dans
le portrait de personnages secrets et volontairement renfermés sur leur monde intérieur – le marionnettiste de Dans la peau de John Malkovich, le romancier de
Adaptation. Ces deux aspects de sa personnalité donnent leur pleine mesure dans Max et les Maximonstres, film solitaire – voire même égoïste – s’il en est. Les
héros de Dans la peau de John Malkovich et Adaptation étaient des adultes, or le monde des adultes réclame une interaction avec autrui ; cette interaction se
transformait pour eux en friction et le film, solidaire de leur point de vue, devenait à son tour sujet à cette friction. Max pour sa part a neuf ans, et les premiers moments du récit montrent à
quel point il est facile à cet âge d’être foncièrement seul sans pour autant vivre comme un reclus. On se sent anonyme dans une salle de classe, mortifié lorsqu’un jeu improvisé ne tourne pas
comme vous l’aviez imaginé (la bataille de boules de neige, et la destruction de l’igloo), dépossédé de votre relation fusionnelle avec votre mère les soirs où celle-ci invite un homme à dîner à
la maison (et qu’en prime elle compte faire du maïs congelé, alors que vous n’aimez pas le maïs congelé)(et qu’elle le sait).
Toutes ces scènes forment un patchwork d’instantanés de la vie de Max, sans s’affirmer lourdement comme tel : les saynètes sont comme attrapées au vol, sans introduction ni conclusion
franches, et elles ne contiennent qu’un minimum de dialogues, accessoires, dont la disparition ne gênerait pas la compréhension des situations. Le héros de ce quasi film muet n’en est pas un au
sens le plus évident du terme. Max est colérique, possessif, « out of control » ainsi qui le lui dit sa mère. En s’engouffrant dans cette voie, Jonze réalise un film destiné
moins aux enfants, en leur renvoyant une image policée et flatteuse d’eux-mêmes, qu’à leurs parents, à qui il présente un exemple de ce que peuvent contenir l’imaginaire et l’âme de leur
progéniture. La mise entre parenthèses du cœur du scénario entre des séquences réalistes impliquant Max et sa mère servirait ainsi à souligner le but profond du film – nous offrir un moyen de
devenir des personnes encore meilleures, car plus aguerries et avisées, que cette mère dépourvue de la clé perçant le mystère de son fils.
Ce mystère prend les traits de la contrée des Maximonstres, dans laquelle on se rend à la fois très simplement (il suffit d’embarquer sur un minuscule voilier, et de naviguer droit devant) et au
prix de grands dangers. Le rivage en est gardé par une tempête déchaînée, dépeinte par Jonze avec une violence prodigieuse qui en fait le climax des éclats et crises de Max vus
jusqu’alors. Et fort logiquement, après l’orage viennent un certain apaisement, un adoucissement. L’anarchie règne certes au sein de la bande des Maximonstres, formée d’une demi-douzaines de
géants chimériques et aussi hétéroclites qu’une collection de peluches. Cette anarchie est déjà une évidence dans la physionomie des Maximonstres, combinaison biscornue d’éléments souhaités
par Jonze – les voix d’acteurs ayant interprété les scènes ensemble, dans une simili-séance de motion capture – ou subis (les visages animés par ordinateur car les dispositifs mécaniques
prévus au départ étaient trop lourds). Mais elle converge vers un point d’équilibre entre les caprices puérils et les manies des uns et des autres, et ce d’autant mieux que dans leur monde rien
n’est soumis à des règles ou à des inhibitions. Tout n’y est que pulsions et émotions non disciplinées, non entravées même physiquement ; le monde des Maximonstres semble infini, et le temps n’y
a pas prise. Ce qui en fait un gigantesque terrain de jeu enfantin où l’on peut casser des huttes en bois, dormir en s’empilant les uns sur les autres, construire un fort grandiose en un temps
record, ou encore se lancer à corps perdu dans une bataille de boules de terre.
Se trouvant enfin en compagnie d’êtres partageant les mêmes aspirations et craintes que lui, Max s’affirme comme leur leader, leur « roi ». Les Maximonstres s’avèreront au fil
du temps des sujets globalement ingérables, et le séjour de Max parmi eux prendra fin lorsque cette réalité fera trop fortement écho dans son esprit aux derniers mots de sa mère avant sa fugue –
« you’re out of control ». Enfant solitaire, Max murit retiré au sein de son imaginaire. Ce cheminement ne se traduit pas dans le film en un prêche trop explicite et plombant
car Jonze s’appuie sur le talent de deux compères appelés à participer au projet, le romancier Dave Eggers au scénario et la chanteuse-compositrice Karen O à la musique, pour insuffler à
Max et les Maximonstres l’esprit de son propos sans avoir à passer par la lourdeur de la lettre. Eggers a élaboré la succession de situations listée plus haut, qui colle tout à
fait à la manière de progresser d’un conte : par blocs plutôt qu’à petits pas. Il les a de plus parées de phrases délicates, capables de charrier en quelques mots tout un monde de sentiments
(« Will you keep out all the sadness ? »). Karen O a parachevé ces moments avec sa musique enlevée et versatile, enfantine tout en laissant entendre qu’elle pourrait déraper
vers quelque chose de plus perturbant, sauvage. [Pour ceux qui connaissent, c'est à ça que ressemblerait ce que fait son groupe des Yeah yeah yeahs s'il se détachait entièrement de ses
racines rock ténébreuses].
Le fait que Karen O n’hésite pas à chanter sur ses compositions, parfois accompagnée de chœurs d’enfants, entérine l’importance de la musique dans Max et les Maximonstres et
l’attire à la frontière de la comédie musicale. Cette tentation ne pourrait pas moins nuire au film, en raison de la prédilection de Jonze pour l’art du clip. Le pas de deux persistant entre le
film fantastique et le musical sied comme un gant à sa sensibilité, de même qu’une autre indétermination régnant sur l’œuvre – et qui ne doit elle qu’à sa mise en scène. C’est une idée brillante,
de celles qui restent inaccessibles si elles ne sont pas sincèrement ressenties par leur auteur. Elle consiste à embrasser tout ce que le film contient de paysages irréels, de créatures
fantasmagoriques et de drames intimes à fleur de peau dans une forme visuelle la plus libre et ouverte qui soit : caméra portée à l’épaule, cadrages fragiles, lumière naturelle (travaillée, bien
sûr, par l’oeil expert du chef opérateur Lance Acord ; mais qui exprime un naturel saisissant), et balance sonore sans cesse changeante entre les chansons et les dialogues. Jonze enveloppe ainsi
son assemblage improbable de formes et de genres d’une couche supplémentaire, celle du cinéma indie s’épanouissant dans une certaine précarité parsemée de fulgurances.
Un des nombreux summums de cette miraculeuse inspiration artistique est la course de toute la bande vers une falaise pour y admirer le lever de soleil et hurler en chœur leur folle joie. La
caméra est derrière eux, à contre-jour donc, et vibre de l’émotion qui irradie de l’image et de la bande-son. À l’instar de cet instant magique, c’est tout le film qui vibre sans interruption de
ses multiples lignes de conjonction, d’hybridation. Ce qui se dégage de cette inépuisable effervescence porte un nom, seul à même de conclure cette critique : la beauté.