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- Le classique du jour (Oscar 1960) : La garçonnière, de Billy Wilder (USA, 1960)
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Où ?
A Rodez, là où j’ai eu les 2 coffrets de Billy Wilder (10 films de l’un de mes 3 cinéastes préférés) pour Noël
Quand ?
Lundi soir
Avec qui ?
Ma femme, ses parents, ses sœurs
Et alors ?
La garçonnière (The apartment, en VO) est pour moi l’un des plus beaux films qui existent. Le talent de Billy Wilder – et n’oublions pas son fidèle co-scénariste, I.A.L.
Diamond – y est à son zénith, dans l’écriture et la mise en scène d’une intrigue douce-amère (l’expression « sweet and sour » est explicitement formulée dans le film ; une des
nombreuses private jokes que celui-ci recèle). Celle-ci implique des personnages anonymes et pourtant inoubliables, car sublimés par le regard porté sur eux. Bud Baxter (Jack Lemmon) est
un employé parmi 31259 au siège new-yorkais d’une compagnie d’assurances. Le soir, il reste plus tard que les autres à son poste car il « prête », sans trop avoir le choix, son
appartement à quelques uns de ses supérieurs qui chacun leur tour y batifolent un soir de la semaine avec leur maîtresse. Bud y gagne même une promotion lorsque la combine arrive aux oreilles de
Sheldrake (Fred MacMurray, boute-en-train à nouveau employé par Wilder dans un superbe contre-emploi, après Assurance sur la mort), grand manitou de la société.
En parallèle, Bud se met presque par hasard à flirter avec une liftière, Fran Kubelik (Shirley MacLaine). En plus de la description acerbe et oblique des relations dans le monde du travail
capitaliste ultra-hiérarchisé, vues avec le recul du regard de l’immigré qu’est resté Wilder, cette tempérance dans la romance est la deuxième trouvaille géniale de La
garçonnière. Il n’est jamais question entre Fran et Bud de coup de foudre ou de découverte miraculeuse de l’âme sœur. Tous deux ont déjà eu leur lot de déceptions amoureuses aux fins
tragiques, qui les rendent immunisés contre ce genre de sentiments – et la dernière déception en date est encore en cours pour Fran, embarquée dans une aventure adultérine sans réelle fin
heureuse envisageable avec… Sheldrake, qu’elle voit… dans l’appartement de Bud.
Schématiquement, le dilemme du film se résumerait donc selon le point de vue de Bud à « lose the girl or lose the job » (comme le dit la jaquette du DVD anglais). Mais le
talent légendaire d’écriture de Wilder et Diamond fait que cette alternative n’apparaît explicitement qu’au bout d’une première heure parfaite, et que sa résolution nécessite une seconde heure
plus que parfaite. Au sein de celle-ci, les superlatifs viennent même à manquer pour qualifier le dernier tiers qui s’ouvre après la tentative de suicide de Fran, et au cours duquel la
temporalité du film est brusquement resserrée en réponse à une soudaine urgence, la plus importante – trouver une raison, un soutien pour continuer à vivre.
Le secret du succès du film est que son duo créateur s’intéresse moins aux armatures du script qu’à l’humanité des personnages. Wilder et Diamond prennent devant nos yeux le temps de donner à
chacun une présence crédible, qu’ils soient collègues de bureau, voisins de palier ou protagonistes centraux du récit. Tous sont développés avec le même soin, et participent à créer un univers
cohérent et chaleureux. La garçonnière traite certes de pulsions suicidaires, d’avilissements professionnels et d’anonymat déprimant dans la plus grande des villes, mais conserve
toujours en façade un sourire convaincu. Et il n’est pas question là d’une niaiserie à la Disney, mais d’une technique de survie face à la dureté du monde. Des fois, Billy Wilder déprime (Sunset boulevard, Ace in the
hole) ; d’autres, comme ici, il est déterminé et dynamique. Il transmet alors cet état d’esprit à ses personnages via ce qu’il sait faire de mieux – imaginer des situations et répliques
percutantes et euphorisantes. Le couple de voisins de Bud, leur opinion critique sur la vie qu’ils présument dissolue du héros et dans le même temps leur grande bienveillance à l’heure d’aider
Fran et par ricochet Bud en est un remarquable et ravissant exemple. L’épilogue et ses mélanges de situations déjà exposées auparavant dans le film, avec à chaque fois le choix de la solution la
plus pertinente pour les personnages ET efficace pour le récit (la bouteille de champagne plutôt que la balle de pistolet, une partie de cartes plutôt qu’une déclaration d’amour cruche), en est
un autre, encore plus étonnant.
Une troisième manière d’opérer contre la douleur est le délire désopilant et
increvable auquel s’adonnent les deux scénaristes autour de la tournure américaine « wise » (traduction relative, par une proposition plutôt qu’un suffixe : « en termes
de »), laquelle est exploitée à toutes les sauces comiques qui soient, jusqu’aux plus absurdes – « So you hit the jackpot, eh kid? I mean Kubelik-wise » – aux plus
alambiquées – « As far as I’m concerned you’re tops. I mean, decency-wise and otherwise-wise ». Mais le plus beau et inoubliable des « wise » est le suivant,
qui illustre à merveille cette œuvre merveilleuse qu’est La garçonnière :
« That’s the way it crumbles… cookie wise ».
Ce qui est quand même autrement plus chic que de simplement dire « c’est la vie ».