• L’eau froide, d’Olivier Assayas (France, 1994)

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eaufroide-4Où ?

A la maison, en DVD zone 2

 

Quand ?

Jeudi soir, en rentrant du réveillon chez mes parents (trop mangé, pas possible de dormir)

 

Avec qui ?

Seul

 

Et alors ?

 

L’Eau froide est le produit d’une commande pour la collection « Tous les garçons et les filles de leur âge », coordonnée par Arte, dont le principe consistait à demander
à plusieurs réalisateurs un film dont l’action se situe à l’époque où ils avaient seize ans. Pour Assayas, il s’agit du début des années 70, époque charnière entre les révoltes de mai 68 et la
courte mais mémorable flambée du punk dix ans plus tard. La révolte inhérente à l’âge adolescent avait alors les munitions pour s’y exprimer dans toute sa véhémence. Mais elle avait aussi face à
elle une autorité étouffante et d’une sévérité draconienne, qui réduit à néant la capacité d’expression modérée de cette volonté de contestation.

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La partie introductive de L’eau froide montre comment ses héros adolescents se voient refuser jusqu’au droit d’exister en tant qu’individus. Gilles (Cyprien Fouquet) et Christine
(Virginie Ledoyen) sont des enfants de la morne banlieue parisienne, et leur environnement de vie est une prison qui ne dit pas son nom, un lieu aride et étriqué, à la fois vide de modèles à
suivre et saturé d’interdits en tous genres. Leurs deux familles sont divorcées, et ne proposent comme exemples qu’une mère absente et une figure paternelle en situation d’échec. La police et
l’école, pour leur part, sont cantonnées dans un rôle répressif dont les adolescents ne perçoivent que trop bien l’inféodation –à l’ordre établi – comme par exemple dans cette scène où Christine
provoque l’inspecteur qui l’interroge suite à un vol dans un supermarché, en opposant au témoignage des vigiles sa propre version des faits selon laquelle elle aurait été violentée lors de son
arrestation.

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Ce statu quo entre deux camps uniquement capables de projets d’actions extrêmes (le placement en pension ou en hôpital psychiatrique d’un côté, le jeu inconséquent de Gilles avec des bâtons de
dynamité de l’autre) est décrit par Assayas avec une violence feutrée, distante. La retenue dont il fait preuve peut être le fruit de la peur de déclencher l’embrasement qui menace ; mais aussi
du fait que cet état des lieux n’est pas le cœur du film mais son point de départ – son point d’où l’on part, d’où l’on s’échappe. Ce sont bien sûr les adolescents qui tentent de prendre la fuite
comme option. Leur fugue passe par la musique et par une attitude destructrice au cours d’une fête nocturne et clandestine dans une maison abandonnée transformée en brasier libérateur ; fête que
le réalisateur étire jusqu’à l’infini que ces jeunes cherchent à atteindre. Ces vingt minutes hors du temps, hors du scénario, presque exemptes de dialogues et enivrées de la bande-son tragique
de cette époque (Janis Joplin, Leonard Cohen, The Velvet Underground…) représentent le plus beau moment de L’eau froide. Assayas accomplit là le prolongement visuel de la
musique et de l’état d’esprit de ses personnages. Il raconte par l’image ce que ces derniers ne peuvent formuler : leur soif d’absolu, et son incompatibilité avec un monde désespérément terne et
éteint.

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Le point culminant de ce passage est un long plan-séquence hypnotique où Christine déambule au hasard dans la fête en se coupant les cheveux. Virginie Ledoyen s’investit superbement dans ce
personnage magnétique et extrême, pour qui la fuite doit continuer au-delà d’une simple nuit d’oubli – quitte à mentir à ceux qui l’aiment. Soit dans le cas présent Gilles, qu’elle emmène dans sa
quête d’un ailleurs plus pur tout droit sorti de son imaginaire. Tout dans la mise en scène mène alors vers un apaisement définitif, symbolisé par la feuille blanche laissée derrière elle par
Christine. La musique laisse la place au silence, et le blanc de la neige rend l’image presque monochrome ; soit pour chacun de ces éléments (le son, l’image) son expression de la pureté. Comme
au cours de la scène de fête, dans l’épilogue Assayas utilise sa mise en scène pour offrir aux adolescents ce que la froide réalité du monde dans lequel ils vivent ne peut leur fournir. Son
propos est de les laisser tracer leur chemin vers une hypothétique sérénité, et de les accompagner du mieux qu’il le peut, plutôt que de les juger selon des règles impitoyables et inadéquates.

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Preuve que la surdité de l’autorité établie vis-à-vis de sa jeunesse perdure à travers les époques, ceci valut une interdiction aux moins de… seize ans à ce bloc de sincérité brut et
fondamentalement loyal envers ses héros. On peut d’ailleurs tout à fait y voir un grand frère du Max et les Maximonstres actuellement en salles : la même
sensibilité à fleur de pellicule s’y déploie, pour des personnages plus vieux de cinq ou six ans.

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