• L’avventura, de Michelangelo Antonioni (Italie, 1960)

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avventura-1Où ?

En vacances, en DVD zone 2 (Éditions Montparnasse)

Quand ?

Fin juin

Avec qui ?

MaFemme

Et alors ?

 

Dans son excellente analyse de séquences du film présente sur le DVD, Olivier Assayas fait de L’avventura rien de moins que l’œuvre qui a « projeté le cinéma
dans l’âge de la modernité »
. La raison ? La disparition soudaine, définitive et jamais expliquée à la demi-heure de film de celle qui en était jusqu’alors le personnage principal.
Anna, jeune femme issue d’une famille bourgeoise, était la fiancée de Sandro et la meilleure amie de Claudia. De seconds rôles de l’histoire d’Anna, ces derniers se retrouvent propulsés par
défaut sur le devant de la scène, sans que nous n’y soyons préparés ; ils n’ont aucun passé, aucun enjeu qui leur appartienne.

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Par cet acte, Antonioni rejette l’obligation faite jusque là au cinéma de présenter à son public une dramaturgie balisée de manière évidente. À la même époque les membres de la Nouvelle Vague
( Resnais,
Godard surtout)
défrichaient eux aussi cette voie. Mais leur approche était plus globale, et leurs films tout entiers conçus dans un contexte émancipé tandis qu’Antonioni, encore tâtonnant, fait de cette rupture
entre les récits d’hier et le doute moderne un point – LE point – de scénario. Avec L’avventura, le cinéma découvre explicitement la liberté absolue de l’art
contemporain, et l’angoissante incertitude qui l’accompagne comme son ombre. De là, Assayas digresse à raison sur l’état actuel du cinéma, revenu à une vision rétrograde et étriquée du besoin de
narration, qu’il compare à une attitude de « flicage » du spectateur. Lesquels spectateurs ne demandent malheureusement que ça, en tout cas cette immense majorité qui ne veut
pas de films « prise de tête », expression fourre-tout qui fait son chemin y compris au sein de publics intelligents et cultivés. On peut certes toujours faire des films
risqués comme L’avventura aujourd’hui, mais le plus souvent à condition de les faire seul dans son coin, sans argent. Ou alors ces longs-métrages aboutissent à des
accidents industriels, et leurs réalisateurs ne se voient plus jamais confier les mêmes moyens et la même liberté.

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L’avventura démarre réellement lorsqu’Anna en disparaît. Une disparition orchestrée par Antonioni comme une manipulation consciente du spectateur, puisqu’il n’intègre à
sa mise en scène aucun élément potentiellement annonciateur du renversement à venir. Les scènes qui précèdent ne pourraient au contraire être plus communes, typiques d’une partie de transition
d’un film classique, où s’opère la liaison entre deux moments plus forts dramatiquement. Seul l’endroit de la disparition n’est pas anodin : cette île volcanique inquiétante et quasi inhabitée
est le premier d’une série de lieux dans lesquels l’être humain n’est pas, ou plus, le bienvenu. Un village fantôme (bien que de toute évidence entièrement sorti de terre seulement quelques
années plus tôt) au milieu de la Sicile, puis un immense palais soudain abandonné au petit matin par l’intégralité des fêtards qui l’occupaient de fond en comble la veille suivront. Ces visions
extraordinaires, profondément dérangeantes mettent en exergue le fait que le monde sensible n’est plus fiable – une certitude qu’Antonioni creusera de plus en plus dans ces longs-métrages
suivants (la fin de L’éclipse, les déserts de Zabriskie point et Profession reporter).

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Cette violence de l’environnement naturel à l’encontre de l’homme, comparable à celle d’un organisme vivant confronté à l’intrusion d’un corps étranger, se retrouve de manière plus diffuse mais
constante dans l’utilisation qu’Antonioni fait de la Sicile où se déroule la suite du récit. Ce sont les paysages terriblement arides de l’île, faits de rocaille et de végétation décharnée, qui
l’intéressent et nourrissent son inspiration, sa vision. L’opposition est physique, entre les corps et les paysages, bien plus que sociale entre la pauvreté des locaux et le style de vie
bourgeois des deux héros Sandro et Claudia. Cette seconde option, plus classique et par exemple exploitée sur le mode satirique par Casanova 70, n’existe que dans deux scènes : l’entretien avec le pharmacien, et le cauchemar éveillé
de Claudia qui se retrouve scrutée par tous les hommes d’un village telle une bête sauvage, ou une proie.

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J’ai évoqué plus haut la correspondance entre L’avventura et les premières œuvres de la Nouvelle Vague. Un se rapproche plus particulièrement du film d’Antonioni :
A bout de souffle de Godard. Tous deux
baignent dans une ambiance préfigurant la libération des mœurs ; dans L’avventura il semble ainsi que tout le monde se séduit, se frôle, s’embrasse, se dénude sans que
l’éventuelle présence de spectateurs extérieurs ne représente une gêne. Surtout, A bout de souffle et L’avventura font preuve d’une même
insolente liberté par rapport au genre qui les héberge. A bout de souffle est un polar délaissant tous les codes du polar, L’avventura une
enquête sans aucun élément se rapportant concrètement à une investigation. Les deux films s’éloignent cependant dans ce qu’ils tirent de cet acte inaugural de rébellion, puisque Godard comprime
son récit jusqu’à sembler sauter d’ellipse en ellipse, comme pour prendre le genre de vitesse ; alors que de son côté Antonioni s’étire dans le présent jusqu’à stopper le passage du temps. Ce
sens du mouvement, de l’accélération et de la rupture inhérent à l’homme et prépondérant chez Godard, Antonioni le conteste. Là encore son intuition est en faveur de la nature, à l’immuabilité et
la résistance insurmontables par l’homme.

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Dans ce contexte, Sandro et Claudia ne peuvent avoir d’ambition forte quant à leur existence où à la marque qu’ils laisseront sur le monde. Leur quête d’Anna apparaît très vite comme rien de plus
qu’un prétexte, une avventura génératrice d’une raison d’être ensemble et de la dose d’adrénaline permettant de savourer l’instant présent. Le film joue savamment du malaise qui entoure
le couple, et du paradoxe qui régit son fonctionnement : l’excitation de l’enquête en elle-même soude Sandro et Claudia, mais son but réel (retrouver l’absente) le met en danger. Tout du moins
tant que les deux personnages n’ont pas remplacé la première force qui les pousse l’un vers l’autre par une autre, bien plus durable – l’amour véritable. La fin de
L’avventura, mutique et secrète comme il se doit pour un film d’Antonioni, peut ainsi être vue comme l’expression de l’abandon à un tel amour, via le repentir de Sandro
et le pardon de Claudia après que le premier a trompé la seconde. Dans un monde où les individus peuvent s’effacer aussi brutalement et irrévocablement qu’Anna, une « petite »
disparition telle que l’infidélité de Sandro est finalement bien peu grave. Telle était d’ailleurs la crainte de Claudia, relayée par la mise en scène (qui reprend tous les effets de la partie
sur l’île) de sa quête affolée de son amant introuvable, avant qu’elle ne le trouve dans les bras d’une autre : que Sandro se soit volatilisé, sans raison ni espoir de le revoir.

Ce léger rai d’optimisme final du cinéaste ne sera plus de mise dans ses films postérieurs – dès L’éclipse, le sauvetage par l’amour devient une éventualité chimérique.

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En plus de l’intervention d’Olivier Assayas citée plus haut, le DVD des Editions Montparnasse regroupe dans ses suppléments des documents d’archives intéressants. On y trouve les récits de la
rencontre entre Antonioni et sa muse/compagne Monica Vitti (ils tourneront quatre films ensemble) ; de la vision d’Antonioni des rapports entre acteurs et réalisateur (ils sont ses outils, lui
seul est le cerveau du film) ; de l’idée de départ de L’avventura ; et du passage cauchemardesque du film au Festival de Cannes, où il fut sifflé et moqué par cette
frange du public qui depuis plus d’un demi-siècle hue année après année les œuvres téméraires qui viennent bouleverser le cours du cinéma.

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