• La rumeur, de William Wyler (USA, 1961)

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Où ?

Au Grand Action (près de Jussieu), où le film fait l’objet d’une ressortie en copie neuve

 

Quand ?

Samedi après-midi, à 16h

 

Avec qui ?

Seul

 

Et alors ?

 

Les enfants maléfiques sont légion au cinéma – parmi les plus connus, citons la jeune fille possédée de L’exorciste ou le régiment de blonds aux yeux bleus télépathes du
Village des damnés. Mais mêmes ceux-ci, bien qu’appartenant au genre du film d’horreur, ne peuvent rivaliser avec la jeune Mary qui sévit dans La rumeur.
Pourrie-gâtée jusqu’aux os (elle est l’unique descendante vivante de sa richissime grand-mère, qui fait la pluie et le beau temps sur sa communauté), manipulatrice, cruelle, malfaisante,
perverse, la liste pourrait occuper toute la page. Elle fait régner sa loi dans l’école-pension pour filles où elle étudie, et les punitions et remontrances que lui infligent les deux
institutrices administrant le lieu, Karen et Martha, ne la brident pas le moins du monde ; Mary choisit de répondre par la surenchère explosive, en faisant auprès de sa grand-mère l’accusation
que les deux enseignantes sont lesbiennes. Il y a un demi-siècle de cela, dans la société huppée de la Nouvelle-Angleterre où se déroule l’intrigue, cela revient à les accuser de meurtre (voire
pire).

(c’est accessoire, mais la jeune fille à droite sur la photo menacée par Mary est Veronica Cartwright, que l’on reverra dix-huit ans plus tard dans le premier
Alien. pour une fois qu’une enfant-actrice donne signe de vie plus tard !)


Harvey Milk et les émeutes de San Francisco ne
sont pas encore passés par là – et, malheureusement, il est probable que les mentalités n’aient pas encore suffisamment évolué partout pour qu’une telle discrimination ne puisse encore avoir
lieu. La preuve, les choses bougent à ce point lentement qu’en vingt-cinq ans, l’unique différence entre La rumeur (1961) et These three (1936), la première
adaptation que le cinéaste William Wyler avait tirée de la pièce d’origine de Lilian Hellman, est que la version la plus récente peut dire clairement le terme « lovers » pour
définir ce dont Karen et Martha sont déclarées coupables. À côté de cela, Wyler a tout de même dû couper des répliques trop explicites pour passer sous le couperet de la censure… C’est donc
sous cet angle qu’il faut voir La rumeur (et en particulier sa dernière partie) : un film fait dans un contexte culturel autrement plus contraignant que celui d’aujourd’hui, par
des individus trop intégrés à ce système pour ambitionner de le mettre à bas. Au vu de leur position de choix à Hollywood au moment du film, Audrey Hepburn et Shirley MacLaine ont déjà fait
preuve d’un certain courage en s’engageant dans ces rôles.

Avant d’en arriver à ce final ambigu, on assiste à une première heure suffocante, au suspense digne d’un grand thriller tragique. Wyler déroule en parallèle et avec minutie la machination de
Mary, et sa capacité redoutable à couvrir tous les angles morts de son récit (détails croustillants lus dans un livre, usage du chantage sur une autre élève pour en faire un second témoin
appuyant son histoire…), et le baroud acharné des deux accusées pour rétablir la vérité. Mais elles ont sans cesse un coup de retard… Le combat psychologique est tétanisant, d’autant plus que
la violence physique en est triplement exclue – les accusées sont des femmes, le dénonciateur est une enfant, et le tout se déroule dans la « haute » société. Tout sera donc résolu par
la parole, dans un sens ou dans l’autre, comme dans un film de procès mais sans tribunal impartial faisant le tri entre les torts réels et conjecturés – symboliquement, le passage de l’affaire
devant la justice est escamoté par une ellipse, signe de l’autorité réelle de celle-ci. Et au jeu de la maîtrise des mots et de leur puissance, la petite Mary l’emporte par K.O., filmée par Wyler
avec une impuissance et une stupeur qui débordent sur nous.

Vient alors le dernier acte, qui observe les conséquences de cette affaire de diffamation. La vie sociale des deux femmes est bien évidemment brisée, et si le film l’évoque remarquablement au
biais de deux courtes scènes de « zoo » (une voiture qui s’arrête sur la route pour scruter stupidement les héroïnes sur leur palier, et le livreur de courses qui fait exprès de rentrer
dans la maison pour les voir comme des bêtes sauvages), ce n’est pas là sa véritable finalité. Le mensonge de Mary ouvre en effet involontairement sur la révélation chez Martha qu’elle est
effectivement amoureuse de son amie d’enfance Karen. Un amour aussi vibrant qu’il est à sens unique (Karen est irrévocablement hétérosexuelle), au sujet duquel Martha n’a jamais eu les clés pour
le concevoir et l’accepter, et dont au contraire elle a d’ores et déjà eu plus qu’un aperçu de ce à quoi il pouvait la confronter d’oppression et de brutalité s’il venait à être découvert –
l’adjectif « unnatural » hurlé frénétiquement concentrant en lui tout cela. Dans ces conditions, son attitude de déni désespéré peut tristement se comprendre. Et Wyler la
filme, avec le mélange de sobriété (l’ombre de la corde) et d’hystérie (les ultimes échanges entre Karen et Martha) comme le grand drame qu’elle représente : celui d’une personne piégée dans son
impuissance à concilier ce qu’elle est, au fond d’elle-même, et ce qu’elle devrait être, aux yeux des autres.

Une réponse à “La rumeur, de William Wyler (USA, 1961)”

  1. dissertation dit :

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