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- La fille du RER, d’André Téchiné (France, 2009)
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Où ?
Au ciné-cité les Halles, en avant-première (la veille de la sortie) avec présence du réalisateur à la fin pour une très instructive séance de questions-réponses d’une vingtaine de minutes
Quand ?
Mardi soir
Avec qui ?
Ma femme
Et alors ?
La fille du RER est un film qu’il est nécessaire de laisser mûrir. Pendant la projection, je trépignais d’agacement face à certains choix scénaristiques (que je continue à trouver
relativement gênants). Tandis que déroulait le générique de fin, la clarté du point auquel Téchiné souhaitait – et a réussi à – nous amener au bout du chemin commençait à faire évoluer mon
opinion vers quelque chose de plus favorable au film. Et maintenant, plusieurs jours après, me voilà convaincu de la réussite d’ensemble de la chose.
La thématique sur laquelle repose l’édifice bâti par Téchiné est celle du mensonge. Celui élaboré par l’héroïne Jeanne, inspiré de « l’affaire du RER » de l’été 2004 (une jeune femme
prétend avoir été victime d’une agression antisémite en plein jour, dans le RER, sans que personne ne réagisse ; elle était mythomane, mais on ne l’a su qu’après la déferlante de reportages
sensationnalistes des médias et d’indignations préfabriquées des politiques) et servant de clé de voûte au récit, en est l’exemple le plus voyant ; mais ce n’est précisément que cela, un
exemple. Téchiné a volontairement éliminé de son récit fictionnel la mythomanie du personnage, pour la remplacer par une mythomanie plus diffuse et plus discrète, qui touche la société dans son
ensemble. Jeanne invente bien quelques petits mensonges à l’attention de son mec Franck – des vacances à l’étranger, un boulot chez un avocat prestigieux -, mais c’est uniquement car autour
d’elle tout le monde en fait de même. Le spectateur est dans la confidence pour certains (le typique « on vous rappellera » lancé négligemment par un recruteur à un candidat ne faisant
pas l’affaire), mais tombe autant des nues que Jeanne pour d’autres.
Le déchirement le plus brutal intervient lorsque le chemin de traverse pris par le récit, dans la langueur de l’été vécu en autarcie par Jeanne et Franck, s’achève en un double coup de poignard -
le premier physique, filmé par une caméra incrédule et sonnée par la tournure des événements ; le second moral, lorsque le spectateur et Jeanne apprennent simultanément, dans le cadre hostile et
impersonnel d’un commissariat de police, qu’une telle agression était probable au vu des circonstances que Franck avait cachées. S’il fallait pointer un élément déclencheur au geste fou et
incompréhensible de Jeanne, ce serait celui-là ; mais par tout le cheminement effectué au préalable, Téchiné indique bien qu’il ne s’agit en rien de la seule explication. Ce n’est que la goutte
qui fait déborder le vase, l’ultime affront supportable par Jeanne après ceux innombrables infligés l’air de rien par les personnes qui l’entourent, en particulier les adultes confortablement
installés dans leur vie et qui n’en bougeront pas pour elle, ses attentes, ses besoins. Qu’un jeune de son âge, a priori de son camp, lui mente à son tour, c’en était peut-être trop pour Jeanne.
La gestion maladroite de ce mauvais rôle donné aux adultes est à mes yeux le principal point faible de La fille du RER. Je ne parle pas là d’un défaut, car il n’y a rien qui soit
à proprement parler mauvais dans cet aspect du film ; il s’agit plutôt de maladresse, ou de prétention involontaire. Si la scission entre les camps des « jeunes » et des
« anciens » est évidente dans les intentions de Téchiné, elle l’est malheureusement beaucoup moins dans sa traduction à l’écran. Le choix de donner ces rôles à des acteurs d’abord
engageant et amène tels que Catherine Deneuve ou Michel Blanc (par ailleurs excellents ici comme ailleurs) brouille les cartes, particulièrement lorsqu’il faut attendre les dernières minutes pour
voir leurs personnages sortir de leur neutralité et révéler leur égoïsme et leur insensibilité au destin des jeunes générations. Avant ce basculement final, Téchiné prend le risque de perdre le
spectateur en route en donnant le sentiment de faire de la partie traitant des conséquences du mensonge une simpliste leçon de morale à l’intention de l’héroïne, sur le thème « Je ne
mentirai plus aux policiers et à ma maman ». L’intrigue secondaire consacrée à une famille juive (Mathieu Demy, Ronit Elkabetz et le jeune Jérémy Quaegebeur) reliée à Jeanne via l’avocat
joué par Michel Blanc souffre du même mal : un déséquilibre gênant entre son temps de présence à l’écran vu depuis un point de vue neutre, et son rôle réel plutôt négatif dans le discours final
du film.
Ces égarements font de La fille du RER un Téchiné mineur (par exemple par rapport à J’embrasse pas, sur une thématique proche) ; mais il n’en reste pas moins un
film bien supérieure à la moyenne. Le don du cinéaste pour le choix des comédiens et leur direction, quels que soient leur parcours et leur manière d’être, continue d’impressionner long-métrage
après long-métrage. Même chose pour le soin mis à s’associer à un chef opérateur talentueux et apportant par ses images un éclat merveilleux au film – ici Julien Hirsch, troisième film avec
Téchiné et aussi à l’œuvre, entre autres, sur Lady Chatterley. En sa compagnie, et avec sa mise en scène toujours aussi fluide et épousant aussi éperdument les mouvements des âmes
et des corps de ses personnages et de son temps (ainsi cette scène de drague, et peut-être plus, par Internet grisante et sensuelle alors même que le réalisateur a presque un demi-siècle de plus
que les jeunes pratiquant cela), André Téchiné transcende son sujet de départ en un récit autrement plus intense, et nous rend partie prenante de celui-ci.