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- La chevauchée fantastique, de John Ford (USA, 1939)
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Où ?
En vacances au bord de l’océan, sur mon ordinateur en l’ayant téléchargé depuis ma Freebox après sa diffusion sur Arte
Quand ?
Fin juillet
Avec qui ?
Seul
Et alors ?
La chevauchée fantastique n’est pas un western. C’est bon nombre d’autres choses – un huis-clos, une poursuite mortelle, un film de groupe, une vue en coupe de la
société américaine, une comédie, un mélodrame… mais un western, non, vraiment pas. Les deux éléments en mesure de rattacher le film à ce genre sont réduits à des rôles trop secondaires pour y
parvenir. Ainsi la fusillade entre la diligence transportant les personnages principaux et l’escadron indien mené par Geronimo, annoncée très tôt dans le récit, est repoussée à plusieurs reprises
et n’intervient qu’au cours du dernier acte ; à la fois suffisamment tard pour que d’autres enjeux individuels et de groupe aient pris le dessus, et encore trop tôt pour constituer le
climax du film. Il reste en effet encore un gros quart d’heure après, ce qui fait de ce dernier mouvement plus qu’un épilogue. La fusillade est ramenée au rang de péripétie à travers
laquelle la vie des protagonistes passe, mais sans en être impactée en profondeur. Elle est une parenthèse de quasi divertissement dans la progression dramatique du film, avec une mise en scène
de séquence d’action à grand spectacle qui va de pair. Les mouvements de caméra (en particulier ces travellings latéraux qui soutiennent la vitesse débridée des cavaliers) et le découpage sont
foncièrement impressionnants, et font que la scène remplit encore parfaitement son rôle aujourd’hui.
L’autre stéréotype du western que La chevauchée fantastique intègre et minimise est celui du face-à-face déséquilibré, à un contre plusieurs, dans la Main
Street de la ville. Cette scène est elle placée au moment du climax potentiel de l’histoire, mais Ford la traite par une ellipse qui saute directement à la suite des événements. Les
retrouvailles soulagées et heureuses entre le héros sorti victorieux de l’affrontement et sa fiancée deviennent dès lors le climax effectif, sentimental plutôt qu’explosif.
Parlons maintenant à rebours de ce tout ce que La chevauchée fantastique est, avant d’en arriver à ce dénouement. Son titre original, plus neutre, indique la piste à
suivre : Stagecoach, c’est la diligence, et dans une diligence on peut faire rentrer tout un groupe de personnages, leurs problèmes, leurs objectifs, leurs façons de voir le monde. Le
début du film est tout entier consacré à cette tâche, pour laquelle il profite de l’arrêt de la diligence à Tonto. Une succession d’instantanés inspirés nous présente tout ce qu’il y a à savoir
de ceux qui vont par la suite prendre part à ce trajet jusqu’à la ville de Lordsburgh, sous la menace d’une attaque potentielle de Geronimo. Certains de ces passagers sont d’essence comique (le
docteur alcoolique, le banquier acariâtre) et d’autres d’essence tragique (l’épouse du colonel de cavalerie). Pour la plupart ils ne se connaissent pas avant de monter à bord de la diligence, et
c’est donc par le fait de sa seule omniscience que la caméra les réunit dans le cadre du montage avant qu’ils ne le soient physiquement. L’unique personnage à être récupéré en route par le récit
et non par la mise en scène est Ringo, qui est à lui seul la preuve que La chevauchée fantastique n’est décidément pas un western comme les autres : il est interprété
par un John Wayne jeune, loin de l’image de vétéran qui est restée de lui, et est un repris de justice en cavale – loin de l’image de père la rigueur qui est encore plus restée de lui.
Une fois ses participants réunis, la partie centrale de La chevauchée fantastique fabrique autour d’eux une réplique fidèle de notre société à l’échelle miniature. Cette
réplique a son mode de fonctionnement, imparfait mais efficace : une démocratie dont le principe théorique « un homme, une voix » est biaisé par les plus influents, lorsque vient le
moment de réellement procéder à un vote – ici sur la décision de poursuivre ou non leur chemin même sans l’escorte militaire qui les accompagnait initialement. Cette société reproduit également
l’angoisse centrale de la nôtre, celle de la mort et de l’extinction, dont l’éventualité est accentuée dans le cas présent par la vulnérabilité de la diligence ; et l’antidote à cette
angoisse, qu’est la capacité de donner la vie. Pour cette raison, le bébé qui naît en cours de route sans avoir été annoncé n’est pas une simple péripétie comme les autres. Il modifie en
profondeur l’attitude de chacun des passagers, qui pour le protéger se mettent spontanément à donner le meilleur d’eux-mêmes – y compris ceux qui faisaient jusque là le contraire.
Là comme partout ailleurs dans le film, la mise en scène de John Ford accomplit des merveilles dans la transformation des intentions et des thèmes en un objet de cinéma émérite et lumineux. Ford
retient du cinéma muet (qu’il pratiquait encore moins de dix ans avant La chevauchée fantastique) tous les mécanismes qui impliquent le public dans les dilemmes des
personnages et les dangers qu’ils traversent sans avoir recours aux dialogues. Ce qui était alors une obligation devient dans un long-métrage parlant tel que La chevauchée
fantastique un bienfait. Le placement de la caméra et les inflexions de la musique transmettent toutes les émotions et la plupart des informations, de la façon la plus aérienne qui
soit. Le film renferme ainsi sous une forme faussement épurée une épatante et attachante densité humaine. Ce n’est définitivement pas un western ; c’est bien plus que ça.