• La bataille d’Iwo Jima par Clint Eastwood : Mémoires de nos pères et Lettres d’Iwo Jima (USA, 2006)

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Où ?
À la maison, en DVD (le coffret regroupant les éditions double DVD des 2 films)

 


Quand ?

Fin novembre, et mi-janvier (difficile de caler une date au moment des fêtes !)

 


Avec qui ?

 

Mon compère de cinémathèque

 


Et alors ?

 

A l’âge où d’autres sont à la retraite ou s’enlisent dans des fins de carrière fainéantes et embarrassantes pour le spectateur, Clint Eastwood a lui choisi d’enchaîner chef d’œuvre sur chef
d’œuvre. Mystic river et Million dollar baby montraient le réalisateur approfondir de manière saisissante ses thèmes de prédilection, tout en
étant le siège d’une ambition formelle bien plus poussée (en particulier Million dollar baby et son théâtre d’ombres). 3 ans plus tard, il est temps de se rendre compte
que ces 2 films n’étaient qu’une étape vers 2 chefs d’œuvre encore plus fabuleux, sous la forme de ce diptyque consacré à la bataille qui a opposé Américains et Japonais pendant la Seconde
Guerre Mondiale sur l’île d’Iwo Jima. Par toutes les prises de risques – menées à bien – qu’ils ont impliquées (un film par point de vue sur la bataille, tournage en japonais, effets spéciaux
numériques…), Mémoires de nos pères et Lettres d’Iwo Jima font de Eastwood le plus fringuant et passionnant des cinéastes de 75 ans.

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Mémoires de nos pères n’est pas un film de guerre. C’est un film d’après la guerre, dans lequel Eastwood ne cherche pas à tricher avec ce que le spectateur sait – que la
bataille d’Iwo Jima appartient à un passé depuis longtemps révolu, que les américains en sont sortis grands vainqueurs. L’ouverture du magnifique thème musical du film (signé Eastwood lui-même)
ne dit pas autre chose. Mémoires… n’est pas non plus un film de guerre car celle-ci est immédiatement happée, digérée par le monde du spectacle – la 1ère séquence est
une reconstitution factice et mensongère de la bataille, avec public conquis et feu d’artifice.

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À l’exception d’un segment d’un seul tenant consacré à la présentation des protagonistes du récit (les membres du régiment qui a hissé le drapeau américain sur le point culminant d’Iwo Jima, pour
une photo qui est ensuite entrée dans la légende) au travers de leur entraînement et de leur arrivée sur l’île, la longue bataille d’Iwo Jima – plus de 40 jours sur ce bout de terre de quelques
km² – n’est vue qu’au travers de fragments erratiques de flash-backs. Ceux-ci retracent les cauchemars vécus intimement par les survivants, qu’ils ne peuvent partager avec personne. Déjà
traumatisante en elle-même, l’expérience est en plus bien trop éloignée l’image de la guerre vendue par le barnum médiatique pour pouvoir être transmise sereinement. 2 séquences sublimes
l’expriment : la rencontre des soldats survivants avec les mères, où la seule émotion véritable naissant entre les 2 groupes au milieu du mensonge généralisé est tuée dans l’œuf par les
« communicants » ; et la reconstitution du planté de drapeau, dont le triomphalisme de façade est lardé de flashs insoutenables rappelant les morts brutales et arbitraires de ceux qui
ne sont pas revenus.

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Cette présence constante de la mort annonce de toute évidence le 2è film, Lettres d’Iwo Jima. Mais revoir Mémoires… après ce dernier fait
découvrir dans le volet américain une œuvre presque plus sombre, désabusée. Dans Lettres…, les humains meurent mais leur souvenir (les lettres du titre) reste, seulement
recouvert pour un temps par le voile de la honte de la défaite ; ici, tout récit, toute réminiscence de l’horreur sont éradiqués de gré ou de force pour faire oublier la guerre au nom de la
victoire et des bénéfices que l’on peut en tirer. Eastwood porte un regard très dur sur cette quête du profit : les 3 héros qu’il suit à travers les USA à leur retour de la guerre en font les
frais, durement. L’indien (Adam Beach, déjà vu dans Windtalkers)
la vomit littéralement, dans une métaphore d’une transparence surprenante pour un film fait à Hollywood ; le soldat de base (Jesse Bradford) qui rentre dans le jeu se fait quand même écraser
comme les autres ; et l’infirmier (Ryan Philippe, qui prouve là sa capacité à porter un film d’envergure sur ses épaules) y perd toute envie d’évoquer cette page capitale de sa vie avec
quiconque, y compris ses enfants. Pour Eastwood, la société du spectacle rompt ce sur quoi elle est fondée : la transmission entre les générations d’une histoire, d’une mémoire. À
contre-courant de cette tendance, le rôle qu’il se donne avec ce film est simplement de rendre hommage à ces hommes en racontant leur histoire, sans chercher à en tirer une quelconque
glorification personnelle.

 

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Sa mise en scène finement ciselée au fil de sa carrière longue de plusieurs décennies et dizaines de films fait merveille. Le récit s’écoule tout seul, au point que quand arrive la conclusion on
est à la fois surpris d’y être déjà et en même temps intimement convaincu qu’en effet, c’est bon, il n’y a plus rien à ajouter. Les personnages sont magnifiquement brossés en un plan, une
réplique, et gagnent ensuite en substance à chaque apparition. La lumière, les cadrages sont très stylisés mais jamais tape à l’œil. Mieux, pour son 1er film de guerre, le cinéaste digère sans
accroc tous les codes du genre (de même que l’utilisation des images de synthèse) tout en faisant indiscutablement un film de Eastwood.

 

Lettres d’Iwo Jima n’est pas non un film de guerre au sens où on l’entend. Dans Mémoires…, la bataille est un angle mort du récit ; dans
Lettres…, c’est une scène de théâtre irréelle où le combat ne débute qu’à la moitié du film. L’armée japonaise est à ce moment-là déjà morte intérieurement, consciente
du déséquilibre criant des forces en présence, et subissant le refus de l’île d’abriter la vie – aucune trace de végétation, une eau imbuvable. Plus tard, pendant la bataille, Eastwood traite par
de sèches ellipses tous les aspects stratégiques et macroscopiques de celle-ci. Ce faisant, il dissocie complètement les personnages de l’événement qu’ils sont censés vivre ; comme s’il ne
les concernait plus, ou ne les avait même jamais concernés.

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Sur cette scène de théâtre, le cinéaste va piocher des instantanés de vies et de morts de soldats japonais, archétypaux mais dans le bon sens : ils n’en sont que plus charismatiques et
touchants (c’est le moment de pointer la complète réussite du casting, et de la direction d’acteurs qui parvient à faire la synthèse – comme sur nombre d’autres sujets – entre le style
eastwoodien et la tradition japonaise). Par le biais des destins de ces hommes, Eastwood réalise ce que peu, très peu de films ont osé faire : regarder la Mort avec un grand ‘M’ en face, faire un
film centré sur elle. Elle est partout dans le film, comme si Iwo Jima était son domaine. Dans les racines de l’île, je l’ai dit (l’eau « empoisonnée ») ; dans les pertes en cascade de
l’armée japonaise bien sûr, lesquelles sont ininterrompues pendant toute la seconde moitié du film, des plus anonymes (les figurants sans nom qui tombent les uns après les autres sous le feu
adverse) aux plus insoutenables (les suicides à la grenade). La Mort s’invite jusque dans l’aspect du film, monochrome – et encore, l’aspect du sable volcanique mérite-t-il le qualificatif de
couleur ? – et aux décors épurés de film d’horreur, avec une brume persistante qui enveloppe tout, des arbres morts comme seul horizon, des cavernes obscures et suintantes comme seul refuge.

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Dans cet univers extrême, un équilibre miraculeux est trouvé par Eastwood dans sa capacité à dénoncer le fanatisme sans y associer comme plaie le sentiment national, l’idéal de la patrie. Tous
ces soldats croyaient en un idéal, la grandeur du Japon, et c’est cet idéal qui les a trahis. Qu’ils continuent quand même à y croire (une attitude récurrente dans les films du réalisateur :
ses flics croient envers et contre tout en un idéal de justice, l’héroïne de Million dollar baby continue à aimer la boxe même après son accident) ou non, Eastwood les
respecte tous autant qu’ils sont. À ses yeux, ils sont en effet tous à la fois victimes de choses qui les dépassent, et maîtres de leurs choix d’actions une fois cette trahison consommée. En tant
qu’individus intègres vis-à-vis d’eux-mêmes, ils méritent donc qu’on leur rende hommage. Le jeune homme qu’Eastwood choisit de sauver parmi ces soldats ne doit cependant rien au hasard :
Saigo est celui qui parvient le mieux à concilier la défense du rêve patriotique – il refuse de déserter – et le rejet d’une soumission totale à ce rêve – il refuse également de se suicider.

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Au travers du destin (que l’on qualifierait de picaresque dans des circonstances plus enjouées) de Saigo, Lettres… est aussi, étonnamment, un film de vie. À la manière
du héros du livre The red badge of courage, il passe de régiment en régiment au fil des assauts et des bombardements et devient le témoin de nombre de situations extrêmes et de morts
arbitraires. En plaçant sa caméra à son niveau tout au long d’une bataille à la démesure insensée, Eastwood fait de Lettres d’Iwo Jima un conte grandiose mais intimiste,
cauchemardesque mais où l’espoir ne meure jamais, déchirant mais d’une infinie beauté.

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Les nombreux bonus du diptyque suivent dans l’ensemble sagement les règles en vigueur à Hollywood pour le genre. Mais tout de même, la force du sujet parvient à percer à travers le ronron
tranquille des tournages idylliques et des projets ambitieux et fédérateurs à au moins 2 reprises :

  • l’intervention de James Bradley, l’écrivain du livre Mémoires de nos pères, qui raconte comment ce processus a eu pour lui un effet libérateur après les années de silence de son
    père sur cet événement;

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  • les interviews à fleur de peau des acteurs japonais, Ken Watanabe (qui joue le général Kuribayashi) au premier chef, qui sont à mille lieues du professionnalisme endurci des américains. On
    sent que le film touche un point sensible chez eux, et qu’il ne s’agissait pas juste d’un job mais d’un véritable travail, critique et intime, sur leur mémoire collective et leur citoyenneté.
    Cet état d’esprit solennel et passionné a sûrement imprégné Eastwood, malgré la barrière de la langue ; il aurait alors sa part d’influence dans l’écart de portée émotionnelle entre le
    très bon Mémoires de nos pères et le magistral Lettres d’Iwo Jima.

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Une réponse à “La bataille d’Iwo Jima par Clint Eastwood : Mémoires de nos pères et Lettres d’Iwo Jima (USA, 2006)”

  1. Arthur dit :

    « Lettres d’Iwo Jima » m’a beaucoup marqué.

    Monochrome et terne, une vision très particulière de l’affrontement, des personnages touchants (le général joué par Watanabe est incroyable tout au long du film)…
    Et un aperçu aussi bref qu’intense de la guerre côté japonais, sans diabolisation, caricature (même si il y a des archétypes, ils restent crédibles !) ou parti pris, si ce n’est contre la guerre elle-même et les absurdités omniprésentes dans un tel contexte.

    Non, franchement, je le reverrais bien celui-là.