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- Israël à Cannes (Les méduses de Shira Geffen et Etgar Keret, Tehilim de Raphaël Nadjari)
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Le premier à la Cinémathèque (à l’occasion de la reprise de la Semaine de la Critique), le second au Cinéma des Cinéastes
Avec qui ?
Le premier seul dans une grande salle bien remplie, et le second avec ma chérie dans une petite salle regroupant une dizaine de spectateurs attentifs
Et alors… ?
Deux pays sont repartis avec le sourire du Festival de Cannes : la Roumanie bien sûr, avec la Palme d’Or et le prix de la sélection Un Certain Regard, mais aussi Israël, qui a glané la Caméra d’Or – récompensant le meilleur premier long-métrage, toutes sélections confondues – avec Les méduses pendant que Tehilim se faisait remarquer en compétition officielle même s’il est resté les mains vides à l’heure de la remise des prix.
La dernière Caméra d’Or israélienne remonte à très peu de temps : en 2003, cette distinction était en effet attribuée à Mon trésor, l’un des films les plus âpres et impitoyables que l’on a pu voir ces dernières années. Même s’il prend lui aussi ses racines dans un contexte socio-économique d’une noirceur certaine, Les méduses ne joue clairement pas dans la même catégorie – on pourrait même lui trouver quelques accointances avec une certaine Amélie Poulain, en particulier dans l’envie de styliser le quotidien pour le rendre plus supportable.
Une scène d’ouverture et une scène de fin proprement géniales encadrent le film. Elles regroupent l’ensemble des personnages par des moyens de pur cinéma – dans un premier temps via leur proximité géographique, dont la traduction est un enivrant mouvement continu de caméra qui va relier une mariée, une des serveuses au buffet et enfin une aide-soignante à domicile ; et au final sur un ensemble de sentiments et de symboles partagés, qu’un montage parallèle réalisé avec beaucoup de subtilité va faire apparaître dans la vie de chacune des protagonistes. Cette maîtrise de la mise en scène et l’efficacité dans la transmission des messages qui en découle expliquent que ce film choral puisse ne durer qu’à peine une heure et quart et être pourtant si magnifiquement touchant.
Geffen et Keret nous en disent juste assez sur leurs héros pour qu’ils deviennent humains, et utilisent juste ce qu’il faut d’effets de mise en scène et de montage pour rendre leur film alerte. Tout est évident et limpide dans ce récit qui brasse pourtant un nombre ambitieux de thématiques sociales (solitude qui règne dans les grandes villes, fossé intergénérationnel, précarité grandissante), de personnages aux origines variées – un juif russe, une philippine, un enfant mystérieux – et même de genres. Le drame brutal aux accents néo-réalistes y côtoie le marivaudage amoureux, le comique de situation grinçant (un hôtel invivable) et même la pure farce, sous la forme d’une adaptation délirante de Hamlet. Comme les familles de cinéma et les milieux sociaux, les vies des protagonistes du récit se croisent et s’interpénètrent, jamais comme on s’y attendrait mais toujours par hasard. Après, le dilemme n’a pas changé depuis l’invention du film choral : cette satanée vie, elle est belle ou pas ? Oui, malgré tout, répondent les deux réalisateurs des Méduses. Et leur bouquet final donne envie d’y croire.
Tehilim ne nage pas dans les mêmes eaux. Tout d’abord car il ne se situe pas dans la même ville – Tel-Aviv est remplacée par Jérusalem, où l’influence de la religion est bien plus forte, proximité géographique des lieux saints oblige. Tehilim intègre à son discours cet aspect (complètement absent des Méduses) de la vie israélienne, sans aller toutefois jusqu’à évacuer tout le reste.
Le point de départ du film est la disparition du père d’une famille de la classe moyenne de la ville. Il laisse derrière lui sa femme et ses deux fils (l’un, Menachem, est adolescent, l’autre, David, a une dizaine d’années) que l’on commençait tout juste à apprendre à connaître et qui sont soudain livrés à eux-mêmes. Le choc est d’autant plus brutal que le drame ne prend pas la forme tangible d’un décès ou d’un enlèvement, mais d’une volatilisation pure et simple comme seul le cinéma peut en créer : le personnage est là, dans le cadre, puis le temps d’un contre-champ il a disparu. Ce coup du sort quasi lynchien n’est que la première des nombreuses preuves de l’ambition du réalisateur Raphaël Nadjari. Originaire de France et passé par la branche new-yorkaise du cinéma indépendant et arty, celui-ci filme ce qui est son deuxième long en Israël sans rien changer à la charte visuelle tacite de la Grosse Pomme : caméra à l’épaule, tournage en extérieurs débordants de vie, musique électro planante.
Il en résulte un métissage étonnant entre une forme très moderne et libérée et un fond étouffant d’orthodoxie et d’immobilisme. Suite à la disparition du père, l’équilibre sur lequel se fondait la famille se brise en silence quand, au lieu d’endosser le rôle de chef de famille, chacun des adultes se replie sur ses certitudes – l’effacement et le refus des responsabilités pour la mère, les textes religieux (les tehilim du titre) pour le grand-père et l’oncle. Ce sont évidemment les enfants qui pâtissent de ce vide soudain et inavoué, et en premier lieu Menachem qui sent confusément qu’il doit quitter son statut d’ado dilettante pour rentrer dans l’âge adulte mais n’a personne pour le guider dans cette voie.
Dans les pas de ce personnage, Nadjari construit patiemment un récit initiatique d’une grande finesse. L’importance de la religion en Israël n’y est pas une fin en soi qui occuperait tout l’horizon du film, mais un champ d’application de la réflexion développée par le réalisateur. La scène la plus marquante montre ainsi Menachem et David distribuer à des inconnus dans la rue des livres de prières que leur oncle souhaitait réserver exclusivement à la communauté religieuse à laquelle le père disparu appartenait. Visiblement tournée en caméra cachée au milieu de passants n’étant pas au courant qu’ils sont filmés, la séquence génère un sentiment de liberté fragile mais volontaire, qui sera trop vite réprimée par les obtus schémas de pensée des adultes. Au final, Tehilim rejoint Les méduses sur au moins un point : la capacité à exploiter les spécificités de leur pays pour en tirer des sujets et des œuvres dont l’écho dépasse largement les frontières.