- Accueil
- Dans les salles
- Cinéastes
- Pas morts
- Vivants
- Abdellatif Kechiche
- Arnaud Desplechin
- Brian de Palma
- Christophe Honoré
- Christopher Nolan
- Clint Eastwood
- Coen brothers
- Darren Aronofsky
- David Fincher
- David Lynch
- Francis Ford Coppola
- Gaspar Noé
- James Gray
- Johnnie To
- Manoel de Oliveira
- Martin Scorsese
- Michael Mann
- Olivier Assayas
- Paul Thomas Anderson
- Paul Verhoeven
- Quentin Tarantino
- Ridley Scott
- Robert Zemeckis
- Roman Polanski
- Steven Spielberg
- Tim Burton
- USA
- France
- Et ailleurs...
- Genre !
- A la maison
- Mais aussi
- RSS >>
- Film socialisme, de Jean-Luc Godard (France-Suisse, 2010)
Je like cet article sur les réseaux sociaux de l'internet!
Où ?
Au MK2 Quai de Loire (dans la salle mitoyenne : Iron Man 2)
Quand ?
Jeudi soir, à 20h
Avec qui ?
Seul, dans une salle assez remplie et n’ayant subi que peu de défections en cours de séance
Et alors ?
Du nouveau Godard, il n’y a pas grand-chose à comprendre – au premier degré. C’est l’équivalent d’un essai en littérature, une proposition à réfléchir par nous-mêmes en considérant le film comme
appartenant au monde plutôt que comme étant soi-même un monde clos. Le cinéaste poursuit son destin solitaire, sans revenir en aucune façon sur sa décision prise à la fin du siècle dernier de
couper tous les ponts avec le cinéma narratif classique. Il le dit lui-même, « il ne veut pas que ça fasse récit ». Godard vit dans sa bulle créative à part, de laquelle il
nous envoie de temps à autre des nouvelles à propos « des choses comme ça », pour reprendre le texte du carton qui revient comme un refrain dans Film
socialisme. Sa dernière bouteille à la mer est moins sibylline que les précédentes (Éloge de l’amour, Notre musique), non pas
dans ses détails mais dans sa forme d’ensemble. Parce que Godard et sa bulle se sont rapprochés de notre époque ; ou peut-être bien parce que notre époque a rattrapé Godard, comme cela fut
déjà le cas pour ses montages-collages des années 60 qui étaient
en définitive des précurseurs et non des bizarreries.
De même, l’absence de récit désormais prônée par le réalisateur est possiblement en passe de devenir la norme à l’heure du zapping généralisé et de la propagation à outrance des images, de toutes
les images entre Internet et les chaînes de TV câblée. Plus d’images, c’est moins de temps consacré à chacune ; moins de temps, c’est forcément moins de récit et plus rien d’autre que des
fragments, des instantanés. Même s’il nous rend encore bien perplexe par endroits (la corrélation entre la partie médiane du film et les deux qui l’encadrent reste pour moi un mystère),
Film socialisme a ceci de juste qu’il est en phase avec ce trait dominant du présent. Son premier acte se déroule à bord d’un paquebot de croisière sur la Méditerranée,
qui va du Caire à Barcelone avec des escales au Moyen-Orient, en Grèce et à Naples. Godard y joue les opérateurs de vidéosurveillance (une autre mode actuelle), mais avec des caméras pas
nécessairement fixées au plafond et pouvant au contraire prendre n’importe quelle position dans chaque pièce du bateau. De la vidéosurveillance avec des cadreurs humains dont personne ne
dénoncerait la présence, en somme. Film socialisme bascule d’une prise de vue à l’autre à un rythme soutenu, sans souci de logique – un embryon de logique pointe certes
lorsque nous voyons réapparaître des visages déjà croisés, mais ce n’est jamais le fait du film ; plutôt un effet secondaire suffisamment anodin pour être négligé. Le véritable objet de
cette partie est sa forme en elle-même, cette cascade d’images tantôt documentaires (plans d’ensemble d’inconnus à la piscine, au casino, à la messe, en discothèque…) tantôt fictionnelles (bouts
de scènes scénarisés au préalable et joués par des acteurs), bruyantes ou silencieuses et sales ou soignées selon le matériel d’enregistrement, qui balaye tout l’éventail du numérique depuis les
téléphones portables aux caméras HD à la netteté aveuglante. Il n’y a aujourd’hui plus un format d’image unique, ce qui était le cas avant la télévision ; il n’y a même plus de
hiérarchisation entre les différents formats. Et il n’y en a pas plus entre ce que rapportent toutes ces images. Les histoires potentiellement importantes, graves qui se déroulent à bord du
paquebot (par exemple l’enquête sur un homme soupçonné d’avoir détourné l’argent des républicains espagnols en marge de la guerre civile) sont noyées dans le flot sans fin d’animations, de
mouvements, de bruits. De même que dans les media contemporains, les informations essentielles peinent à émerger du déferlement continu d’anecdotes et d’« insolites », et ne sont plus
captées que de manière incomplète et faussée.
L’énigmatique section médiane, qui quitte le paquebot pour le cadre plus calme et protecteur d’une maison familiale en Savoie, a peut-être pour objectif de ramener dans ce chaos un ordre, une
ligne à suivre. Une ligne qui serait politique – qui, de toute manière, ne peut être que politique. Des aspects tels que l’unité de lieu, la lumière solaire, le rythme que plus rien ne propulse à
marche forcée vers l’avant, la transformation du lieu de vie qu’est la maison en un lieu de pensée et de débats évoquent les œuvres politiques du Godard de la période 67-72, La
chinoise et suivants. Mais l’absence d’idéologie précise à laquelle s’affilier ; la présence constante d’une équipe de télévision dont les membres ne participent pas
aux discussions et dont la caméra n’est finalement qu’une variante de la vidéosurveillance ; et la fin abrupte donnent le sentiment que maintenant plus encore que par le passé le combat est
mal engagé, et que les moyens manquent pour espérer la victoire. Seule la contradiction active apportée par les enfants aux adultes, dont la vie militante est apparemment derrière eux, permet de
penser que Godard croit en eux pour imaginer à l’avenir de nouvelles voies de lutte.
Après cette parenthèse, ou cette trouée si l’on veut voir le verre à moitié plein, Film socialisme réembarque pour la même croisière qu’au début. Il ne s’agit pas pour
autant d’un reboot car la perspective est tout à fait différente. Godard délaisse la confusion du présent et porte son regard sur l’histoire que renferme chacune des étapes du voyage –
étapes bien sûr soigneusement choisies pour couvrir à peu près exhaustivement le cheminement de la civilisation européenne, de ses racines (Égypte et Grèce antiques) au 20è siècle (révolution
russe, Seconde Guerre Mondiale). Sur le papier cela fait tour operator mémoriel, potentiellement rasoir et qui prend son public de haut, ce qui collerait en plus assez bien avec l’image de vieil
ermite qu’a le cinéaste. Le résultat à l’écran est tout autre, car le savoir-faire du collage et de la digression inattendue de Godard est toujours aussi fringant ; et car le dialogue
continu qu’il instaure entre histoire du monde et histoire du cinéma (les extraits du Cuirassé Potemkine lors du passage à Odessa, par exemple) stimule toujours autant l’esprit. Ainsi la
démonstration fonctionne, et ramène à la surface tout ce que le monde d’aujourd’hui oublie sciemment en étant à ce point amnésique à l’hier sur lequel il s’est bâti.