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Où ?
Dans le train entre Milan et Nice, en DVD zone 2 anglais
Quand ?
Mi-juillet
Avec qui ?
Ma femme
Et alors ?
Brick est le parfait exemple que le DVD peut être un réel
instrument de prolongement d’un film, et non un simple outil de marketing spectaculairement rempli de vide (cf. l’édition de Slumdog millionnaire, saccagée par les sales pattes de Pathé et son slogan bidon « plus qu’un
film, un événement ! »). Omniprésent sur les deux disques de l’édition de Brick, le réalisateur Rian Johnson nous fait partager son enthousiasme, mieux sa passion à
avoir donné vie à ce premier film, ce bébé pour lequel il s’est tant investi.
Son commentaire audio est le plus intéressant des suppléments. Johnson y revient en long, en large et en travers sur la gestation du film, depuis les influences (Miller’s crossing des frères Coen, et par ricochet Dashiell
Hammett, dont les personnages mi-inquiétants mi-risibles ont particulièrement marqué Johnson) qui ont nourri l’écriture du scénario en… 1997, à la sortie de l’école de cinéma, jusqu’à la
présentation au Festival de Sundance huit ans plus tard, et la stratégie du « non-buzz » qui y fut mise en place et qui permit de générer… le buzz. Et entre les
deux, que s’est-il passé ? Beaucoup de rien, de temps perdu à attendre l’hypothétique feu vert d’un studio sur un film aussi spécial, ambitieux et à la marge. Brick a en
définitive pris corps sous la forme d’un film grosso modo autoproduit et autofinancé, tourné entre jeunes se connaissant et s’appréciant tous. Un film de fin d’études, dix ans après la fin
d’études. Les interventions des participants au film invités par Johnson à le rejoindre pour quelques minutes de commentaire détaillent dès lors comment le film s’est fait au jour le jour, dans
des conditions de logistique et de budget limitées. Changer de lieu de tournage à la dernière minute car les propriétaires ne voulaient plus prêter leur maison (ou parce que les vigiles venaient
faire place nette sur un parking), recycler un décor en un autre – en le peignant en noir, principalement – car il n’y avait pas la place pour en construire deux en même temps, voler un chariot
de supermarché pour réaliser un travelling, déplacer une cabine téléphonique à travers la ville car ce modèle n’existait plus depuis belle lurette… Le leitmotiv qui a sous-tendu le tournage de
Brick est répété à plusieurs reprises : « faire au mieux avec ce qu’on a pour finir à temps ». Une leçon forte de cinéma traverse tout ce commentaire : l’important dans
ces conditions est de s’assurer que l’on a capté l’essence de la scène, ce à quoi elle doit servir dans le récit. Et tant pis pour tel ou tel plan précis, ou pour la perfection de la lumière ou
du décor.
Sur le deuxième disque, on retiendra en particulier les excellents modules sur les costumes et les storyboards, présentées par Rian Johnson, ainsi que la seule section qui échappe à ce dernier :
celle consacrée à la musique. Le compositeur et cousin du réalisateur, Nathan Johnson, y détaille le processus d’enregistrement, alternant anecdotes (le travail par delà l’Atlantique, via
Internet) et considérations plus sérieuses : l’idée de former pour l’occasion un « junkyard orchestra », avec l’utilisation d’instruments (ou de non-instruments : les
percussions faites avec des ustensiles de cuisine pour un tel, les sons émis par des verres plus ou moins remplis d’eau pour un autre) spécifiques pour chaque personnage, selon leur caractère et
leur place dans le récit. On trouve aussi dans les bonus une scène présentée avec uniquement sa musique. Le résultat est remarquable, la scène fonctionne presque aussi bien qu’avec les dialogues.
Et le film, dans tout ça ? C’est un petit bijou brut, comme le cinéma indépendant américain sait en faire émerger régulièrement. Le scénario imaginé par Rian Johnson se veut donc une reproduction
des codes de l’univers du film et du roman noir, sans les filtres aujourd’hui communément (et commodément) utilisés dans les parodies ou les exercices de style. Brick évite par
son intelligence et sa sincérité ces deux écueils. Pour ce qui est de la parodie, c’est assez simple, et passe par la mise en branle d’un récit aux ressorts d’une âpreté certaine : un meurtre, un
trafic de drogue frelatée, une femme tiraillée entre plusieurs hommes. Le piège de l’exercice de style est plus ardu à esquiver, surtout avec l’idée principale du script – un film noir se
déroulant le plus sérieusement du monde au sein d’un lycée, avec pour protagonistes les adolescents qui y étudient. Johnson s’en sort par le haut car il parvient à insuffler à son histoire et aux
relations entre ses personnages suffisamment de ce qui fait la vie : amour, trahison, humour, séduction, manipulation, rage.
Ainsi remplis d’émotions véritables et captivantes, et incarnés par une bande de jeunes acteurs pas forcément très connus (Joseph Gordon-Levitt vu dans Mysterious skin, Nora
Zehetner vue dans Heroes, Lukas Haas de Mars attacks !, Emilie de Ravin de Lost dans un rôle aussi mineur que crucial) mais
talentueux et qui croient visiblement en l’aventure dans laquelle ils se sont lancés, les protagonistes de Brick nous entraînent sans difficulté dans le maelström de leurs
relations de business et de sentiments. Une attraction bienvenue car à côté de cela, en digne héritier de sa « muse » Dashiell Hammett, Johnson prend un malin plaisir à brouiller les
pistes jusqu’à les rendre indéchiffrables. Se tenir au fait de la temporalité de l’intrigue est une tâche quasi-impossible, d’autant plus que le film nous y fait entrer au milieu, alors que les
inimitiés et les stratagèmes sont déjà solidement établis. Le héros Brendan, qui s’autoproclame détective privé pour venger la mort dans des circonstances troubles de son ex-petite amie, nous
sert quelque peu de guide en déboulant comme un chien dans un jeu de quilles dans ce monde clandestin par rapport auquel il se tenait jusque là à la marge ; mais il n’est pas réellement moins
mystérieux que les individus dont il va croiser la route. Et à aucun moment le scénario ne fait de lui un intermédiaire entre le spectateur et le film ; Brendan est là pour mener à bien sa
vengeance drapée d’une quête de la vérité, et uniquement pour cela. Les mystères qui sont élucidés au fur et à mesure que son enquête avance en font de plus un élément de moins en moins neutre,
et portant même sa part de culpabilité dans l’affaire.
Le – grand – plaisir pris devant Brick tient donc principalement à deux choses : la création d’une ambiance cinématographique (par la détermination des personnages, et de tout ce
qui les entoure : costumes, décors, photographie, musique…), et l’excitation ludique de ne pas avoir la moindre idée de ce que la scène à venir va receler comme perversion, confrontation,
révélation. L’un et l’autre vont inévitablement de pair et se renforcent mutuellement, l’atmosphère créant une base commune captivante, et le chemin pavé de surprises assurant un renouvellement
permanent du film, de ses enjeux, de sa finalité. L’ultime rebondissement, qui comme de bien entendu survient après le règlement de comptes quasi-général à coups de balles de pistolet –
et qui, comme de bien entendu, est à double fond – assure à Brick une fin en apothéose. La boucle de tout ce qui vient de nous exploser au visage de la manière la plus chaotique
qui soit y est enfin bouclée, de façon intimiste, et en nous laissant un fort arrière-goût de gâchis quant à l’attitude des personnages, dont pas un ne semble encore détenir ne serait-ce qu’une
parcelle de l’humanité qu’ils revendiquent de trouver autour d’eux. Un vrai film noir, je vous dis.