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Un adjectif revient fréquemment lorsqu’il s’agit d’aborder le cas Brian De Palma : controversé. Là où ses pairs de la génération dorée apparue dans les années 70 ont tous atteint à un moment ou à
un autre de leur carrière une reconnaissance critique et/ou commerciale complète, De Palma n’a cessé de dérouter, de diviser les spectateurs entre ceux qui le portent aux nues et ceux qui ne
voient en lui qu’un vulgaire faussaire. Cette partition extrême des réactions (qui plus est fluctuante d’un film à l’autre) est la conséquence d’une carrière menée en franc-tireur, en outsider
qui ne fait peut-être pas toujours les bons choix mais qui les fait toujours de manière très personnelle et qui, contrairement à Winslow Leach, le héros de son inoubliable
href="http://www.ecranlarge.com/movies-details-1976.php">Phantom of the Paradise, n’a jamais vendu son âme au star-system.
Ironiquement, cette résolution mise à conserver sa liberté a sûrement offert à De Palma la carrière « éternelle » promise à Leach par le diabolique Swan. Les cinéastes des années 70 dont l’on
parlait plus haut ont en effet tous vu le temps de la reconnaissance précéder un enfermement plus ou moins volontaire dans un rôle précis – Lucas et Spielberg les entertainers, Lynch le
bizarre, Scorsese le mafieux – ou une éclipse prolongée voire définitive (Malick, Cimino, Coppola). Pendant ce temps, De Palma a tourné presque un film par an, gardant toujours le final
cut et navigant à sa guise entre les genres et les modes. Serait-il donc plus proche de Swan que de Leach ? Toujours est-il qu’il a débuté avant l’émergence de ce « Nouvel Hollywood », et
qu’il a été à plusieurs reprises un artisan de l’ombre de ce dernier. Entre autres, il a ainsi participé activement à la pré-production du premier Star wars, et a découvert Robert De Niro avant que Scorsese n’en fasse sa muse – l’anti-héros de Taxi driver (1976), vétéran du Vietnam incapable de se réintégrer à la société, présente même bien des
similitudes avec le personnage joué par De Niro dans le diptyque Greetings (1968) –
Hi, mom ! (1970) de De Palma.
Un autre point commun entre le réalisateur et son méchant faustien de Phantom of the Paradise est leur penchant pour les écrans de contrôle. Dans quasiment tous ses
longs-métrages, De Palma filme à un moment ou à un autre un personnage en train d’enregistrer la vie d’autrui. Cette fascination pour le regard et le contrôle (ou plutôt l’illusion du contrôle)
qu’il permet est le fil rouge d’une œuvre en apparence protéiforme. Les trois films que De Palma a réalisé entre 1973 et 1976 et qui l’ont rendu célèbre sont en effet, dans l’ordre, un film
d’horreur (Sœurs de sang), un opéra rock (Phantom of the
Paradise) et un thriller hitchcockien (Obsession). Ce que ces trois films
partagent, c’est une même inventivité formelle et des thématiques récurrentes – lesquelles sont présentes dès ses tous premiers films, méconnus et passionnants. Rares sont les réalisateurs dont
la genèse de l’œuvre est autant en phase avec la suite de sa carrière : De Palma ne parlera finalement jamais d’autres choses que ce que contient Hi, mom !. La réflexion
sur le septième art (à base de mises en abyme qui rendent le spectateur partie prenante ou lui font jouer le rôle de cobaye), la dissection des frustrations sexuelles, l’absence de contrôle que
l’on a sur sa propre vie, le regard cynique et désabusé porté sur la société sont déjà là ; ne manque que le thème du double maléfique, qui émergera quelques années plus tard et semble n’avoir
été qu’une fixation temporaire puisque sa dernière utilisation remonte à Body double.
Ce recensement des figures récurrentes chez De Palma marque une bonne occasion d’aborder le cliché qui lui colle le plus à la peau : celui de pâle imitateur d’Hitchcock. La plupart des points de
la liste ci-dessus (frustrations sexuelles, héros manipulé, ton ironique et thème du double) comptent en effet parmi les propres obsessions du maître du suspense, et les décalques quasi maladifs
que sont Obsession et Body double de Sueurs
froides et Fenêtre sur cour représentent autant de bâtons que De Palma
donne pour se faire battre. Mais une telle analyse au premier degré est superficielle car si la filiation entre Hitchcock et De Palma existe, c’est avec des racines plus profondes. Les deux
hommes ont passé leur carrière à parler exclusivement d’eux-mêmes, de leur rapport trouble aux femmes – le plus souvent cantonnées à deux rôles : manipulatrices sensuelles ou victimes expiatoires
– et de leur besoin constant d’exploiter toutes les possibilités du cinéma.
Il n’est alors pas étonnant que De Palma ait repris les travaux de Hitchcock là où ce dernier les a laissés (Obsession, le premier film « hitchcockien » de De Palma,
date de la même année que Complot de famille, l’ultime film de Hitchcock), et qu’il les
ait approfondis à sa manière. De Palma s’est souvent vu reprocher son absence de fond, de message au profit d’un pur formalisme ; mais c’est parce que chez lui, le formalisme et la mise en scène
pure sont le message, l’objet d’analyse. En ce sens, Snake eyes, dont toute l’intrigue
repose sur l’explication de ce qui s’est passé pendant un premier quart d’heure tourné en (faux, bien sûr) plan-séquence, peut tenir lieu de profession de foi de son réalisateur. Ce n’est pas le
pourquoi d’une histoire qui l’intéresse, mais le comment – comment le montage, le cadrage peuvent expliciter un récit ou au contraire le brouiller, le détourner. Les deux chefs-d’œuvre de De
Palma représentent l’aboutissement parfait d’une telle démarche, dans deux cas extrêmes. Dans Phantom of the Paradise, tous les effets de mise en scène sont au service
d’un récit foisonnant et complexe, afin de le rendre limpide, magistral et inoubliable ; dans L’impasse, l’objectif que se fixe le cinéaste est au contraire de nous faire oublier le scénario, dont il nous
donne d’entrée la fin tragique (la mort du héros) comme par défi. Le résultat du travail de mise en scène est tel que De Palma parvient – par le simple pouvoir des images – à nous faire croire
jusqu’au bout au succès de la rédemption de Carlito.
Malheureusement, le réalisateur a aussi trébuché plus souvent qu’à son tour – lorsqu’il perd le contrôle de ses armes ou en pousse l’utilisation jusqu’à l’excès,
par pur plaisir d’épater la galerie ou de rouler des mécaniques. Cela donne des films imparfaits, boursouflés, des semi-échecs qui tournent à vide et irritent autant qu’ils impressionnent. Chaque
spectateur a ses « préférés » dans cette catégorie, mais des films comme Furie, Les incorruptibles (avec la référence au Cuirassé Potemkine, aussi maîtrisée
que vaine) ou plus récemment Femme fatale sont touchés à des degrés divers par ces tares.
Foncièrement génial, virtuose dans l’art de la mise en scène, De Palma paye son refus de contenir ses pulsions par l’absence d’une reconnaissance académique en tant qu’artiste majeur de son temps.
Ce qui n’est pas forcément pour déplaire au bonhomme, qui peut ainsi continuer à n’en faire qu’à sa tête avec sa caméra – et, de temps en temps, se rappeler au bon souvenir des gens en faisant
l’effort de réaliser un film qui met tout le monde d’accord.