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- Biggie and Tupac, de Nick Broomfield (Angleterre, 2002)
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A la maison
Quand ?
Jeudi soir, la semaine dernière
Avec qui ?
Seul
Et alors ?
J’avais envisagé d’aller voir le documentaire Biggie and Tupac lors de sa sortie en salles en 2002, mais l’occasion ne s’était pas présentée – je me trouvais à cette époque dans les contrées cinématographiquement défavorisées par rapport à l’effervescence parisienne du Sud-ouest de la France. Puis le film m’était sorti de la tête, pour n’y revenir qu’il y a quelques semaines, par la fenêtre, quand je suis tombé par hasard sur la diffusion confidentielle du long-métrage de fiction Notorious B.I.G. sur Canal+. Ce biopic est rendu correct grâce à sa sincérité sans faille, sa manière de faire corps avec son sujet et son personnage qui compensent les lacunes concrètes de l’ensemble. Le carton final (une phrase du genre « aucun rêve n’est inatteignable », alors que le rappeur est mort avant d’avoir 25 ans) était évitable, mais avant cela le film est une variation gangsta rap de The social network mineure mais intéressante. Notorious B.I.G. alias Biggie Smalls et Tupac Shakur étaient deux gamins essentiellement motivés par leur passion (pour la musique), qui se sont retrouvés par ce biais et malgré eux projetés dans un monde où l’argent et le pouvoir font tourner les têtes et rendent les rivalités terribles.
Pour leur malheur, Biggie et Tupac ne se trouvaient pas à Harvard, où les conflits se règlent par avocats interposés, mais à cheval entre Brooklyn et son pendant de Los Angeles South Central. Là ce sont les armes à feu qui parlent et qui ont tué les deux artistes à dix-huit mois d’intervalle, durant la période où guerre des raps (East coast contre West coast) et guerres de gangs étaient confondues. L’œuvre documentaire de Nick Broomfield est admirable car elle trouve le positionnement le plus juste qui soit pour faire coïncider trois parcours : celui ayant mené les deux rappeurs à leur destin tragique, celui emprunté par Broomfield au cours de son enquête, et celui déroulé sous les pieds du spectateur par le film. En étant omniprésent à l’écran, en nous tenant informé de tout ce qui reste hors champ (hypothèses personnelles, négociations pour parvenir à suivre une piste, changements d’attitude des interlocuteurs, refus essuyés…), et surtout en ne cachant jamais son ingénuité vis-à-vis de son sujet d’étude, Broomfield réussit parfaitement à mettre en place un sentiment d’identification entre lui et nous. Dans le même temps son opiniâtreté à fouiller dans tous les recoins du dossier, y compris les plus troubles et dangereux, assure une couverture exhaustive de ce avec quoi Biggie et Tupac ont en leur temps frayé. Broomfield n’hésite à aucun moment à s’aventurer loin en dehors de sa zone de confort, et fait preuve en cela d’une intégrité d’enquêteur exemplaire. Laquelle, accolée à l’allure frêle, l’harnachement saugrenu de préposé à la prise de son et l’accent anglais appuyé du réalisateur, provoque en prime un effet comique savoureux. Biggie and Tupac, c’est « Tintin chez les gangs », et fait se dire que Broomfield aurait été parfait dans le rôle du détective improvisé et emprunté de Zodiac.
Cette note cocasse n’est cependant que l’écume de la vague. La lame de fond du film, poussée par la ténacité et l’honnêteté de Broomfield, est bien une effrayante descente aux enfers. La narration de Biggie and Tupac est remarquablement construite, car avançant progressivement vers un Mal de plus en plus prégnant et envahissant. Les carrières musicales des deux assassinés sont un point de départ, traité dans la première demi-heure pour ensuite ne plus y revenir. Les remplacent des policiers et témoins que personne ne veut écouter, pour amorcer le changement de direction du récit ; puis des fantassins (gardes du corps, flics ripoux, intermédiaires…) aujourd’hui repentis ; et enfin, au bout de cette plongée cauchemardesque, un chef de gang interviewé en prison. La dureté et la violence de cet univers saturent le film, dans ce qui est dit dans les interviews mais aussi dans les espaces où celles-ci se déroulent. Les quelques minutes de filmage direct dans le pénitencier font ainsi plus d’effet que toutes les fictions « de prison » mises bout à bout. Quant aux entretiens avec tous ceux qui appartiennent ou ont appartenu à ce monde du crime, ils n’expriment que de la terreur. Il n’y a pas d’alternative à être terrorisé (avec pour summum l’hallucinant témoignage-confession de celui qui s’est occupé de la logistique du coup contre Notorious B.I.G., et dont l’effroi se lit dans son regard, dans sa peau) ou à terroriser – comme le fait encore Suge Knight, suspect numéro un dans les deux meurtres, et qui continue à proférer des menaces à peine voilées depuis la prison1 et à travers un film pourtant à charge contre lui. Knight a des raisons d’être sûr de lui et de son pouvoir s’il est vrai, ainsi que l’affirme Biggie and Tupac, qu’il a eu recours aux services de policiers corrompus de Los Angeles (arrêtés pour braquages de banque…) pour mener à bien son mélange de guerre des gangs et de vendetta privée. Avec lui, Biggie and Tupac a son grand méchant qui le hisse au statut de grand film.
1 où il était incarcéré pour une autre affaire