• Bellamy, de Claude Chabrol (France, 2009)

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Où ?

Au ciné-cité les Halles, dans la minuscule salle 7 attenante à la grande salle 6 où passe Gran Torino (que ma femme est retournée voir avec une copine en même temps que j’étais devant Bellamy)

Quand ?

Samedi soir, à 22h30

Avec qui ?

Seul

Et alors ?

Bon an mal an, Claude Chabrol poursuit une carrière prolifique et cohérente, même si le public ne lui a pas – encore ? – offert cette idylle tardive dont jouissent actuellement d’autres
doyens tels que Woody Allen ou Clint Eastwood. Chabrol a contre
lui le double désavantage d’être français, et de faire des films de plus en plus en aplats dans leur forme et grinçants sur le fond quand les deux cinéastes cités ci-dessus s’élèvent vers des
hauteurs solennelles bouleversantes – Eastwood – ou vivent une nouvelle adolescence par la grâce de muses tentatrices – Allen, avec Scarlett Johansson et Penélope Cruz. Depuis le tournant de l’an
2000, Chabrol creuse un sillon limpide et entier, à prendre ou à laisser – j’ai moi-même tour à tour encensé L’ivresse du pouvoir et méprisé La fille coupée en deux, ses deux derniers films.


Bellamy suit cette ligne claire, où l’art de raconter une histoire ne consiste plus à parsemer le récit de signes et d’inflexions que le spectateur doit par lui-même repérer et
interpréter pour enrichir sa compréhension du film, mais à faire de ces motifs et de leur quête le cœur même du récit. Il s’agit en somme de mettre les protagonistes, le metteur en scène et le
spectateur sur un même plan d’égalité. Ce n’est alors sûrement pas un hasard que dans ses trois derniers longs-métrages, Chabrol ait fait de ses personnages principaux des enquêteurs ou
romanciers et ait donné une telle place aux médias (TV, journaux) : tous font leur beurre d’une telle collecte et mise en relation de signes, d’indices. Le cinéaste met à bas l’artificialité
savante et soignée de la fiction romanesque – dans laquelle il a lui-même souvent excellé, (re)voir par exemple La cérémonie – et la remplace par une autre plus directe, plus
acerbe, qu’est celle de la farce, du pamphlet. Les personnages portent des patronymes transparents (Bonheur, Gentil, Sancho, Bellamy…), qui collent à leurs comportements unidimensionnels voire
franchement – et dans ce cas volontairement – caricaturaux. Les « novices » (chez Chabrol) Depardieu et Cornillac trouvent sans mal leur place au milieu des habitués – Gamblin, Yves
Verhoeven – dans ce théâtre de Guignol acide et nonchalant.


L’arnaque aux assurances sur laquelle le commissaire Bellamy (Depardieu) enquête par curiosité et désœuvrement pendant ses vacances délivre assez vite les secrets de sa machination de film noir,
tendance Simenon ou Assurance sur la mort de Billy Wilder. Pas la peine d’y traquer un retournement, une fausse piste ; par le biais des commentaires de Bellamy et de son
épouse à qui il se confie (Marie Bunel), Chabrol insiste au contraire sur la banalité d’un tel fait divers, mi-amusé mi-désabusé que la nature humaine soit ainsi faite qu’elle reproduit encore et
toujours des schémas aussi éculés. Sa mise en scène va dans le même sens. S’il flirte parfois d’un peu trop près avec la pure fainéantise, le résultat visuel absolument quelconque auquel aboutit
Chabrol est la plupart du temps tout ce qu’il y a de plus fluide et travaillé. Il piège les personnages dans leur médiocrité et leur lénifiant anonymat, retournant contre eux les codes des
téléfilms et sitcoms qu’il reproduit sciemment, et prépare en sous-main le terrain au basculement final qui s’opère au niveau du film tout entier.


La savoureuse dissection du microcosme provincial – ragots, coucheries, assimilation des individus avec leur fonction – qui découle de cette enquête possède en effet un double fond. Dans l’ombre
de la farce de façade, que l’on pourrait réduire au triple visage trouble de Jacques Gamblin (à la fois mari adultère criminel, SDF victime mais pas tant que ça et homme nouveau rongé par la
culpabilité), grossit une intrigue autrement plus douloureuse avec l’arrivée chez Bellamy de Jacques (Clovis Cornillac), son frère et un peu plus – son image déformée, son double
« raté », nuisible. Le mélange de complicité et de répulsion que les deux interprètes donnent à la relation entre leurs personnages enrichit remarquablement Bellamy.
Quant à la manière dont leur histoire tragique absorbe in extremis l’anecdote triviale et légère, via un dernier plan rebouclant sur le premier du film, elle rappelle si besoin était l’habileté
de Chabrol et son œil tranchant. Comme les héroïnes de L’ivresse du pouvoir et de La fille coupée en deux avant lui, Bellamy doit se rendre à l’évidence : il
n’est ni plus malin ni plus inébranlable que les autres.

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