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- 20 minutes de bonheur, de Isabelle Friedman & Oren Nataf (France, 2007)
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Où ?
A l’Espace Saint-Michel, à la programmation de documentaires
toujours aussi passionnante
Quand ?
Dimanche après-midi, avant d’enchaîner sur La belle
personne au Quai de Loire
Avec qui ?
Ma femme
Et alors ?
Il faut d’abord rappeler la triste réalité des faits : Isabelle Friedman et Oren Nataf sont deux inconnus, et leur documentaire 20 minutes de bonheur n’est diffusé que dans
une poignée de salles indépendantes. Leurs cibles, Pascal Fontaine et Laurent Bataille (ou l’inverse ?), sont deux animateurs stars de la télévision, et leur émission décortiquée ici,
Y’a que la vérité qui compte, culminait à son heure de gloire à 4 millions de téléspectateurs et 50 % de part de marché chaque semaine. Le rapport de force en termes d’influence sur le
public est donc franchement déséquilibré.
Ironiquement, Bataille et Fontaine semblent tellement enfermés dans leurs chiffres d’audience faramineux qu’ils en oublient jusqu’à l’existence même d’un tel circuit de diffusion parallèle,
restreint. Pendant le tournage, cela donne l’évocation par l’un des deux des « millions » de spectateurs qui verront le documentaire ; après, une tentative d’interdiction
du film finalement déboutée. On ne voit pourtant pas en quoi 20 minutes de bonheur pourrait être considéré comme diffamatoire ou outrageant – hormis, peut-être, dans sa manière de
décrire les deux animateurs comme des suiveurs plutôt que des faiseurs d’opinions et d’émotions. Pour des egos surdimensionnés comme les leurs, il y a en effet là de quoi être plus blessé que par
une diabolisation facile et frontale à laquelle Friedman et Nataf se refusent d’un bout à l’autre.
Bien sûr, le film détaille étape par étape le système de fonctionnement de l’émission, représentatif de celui de TF1 et basé de A à Z sur la mise en scène comme instrument de falsification. De ce
point de vue, le film est une réponse cinglante et minutieuse à la question qui se voudrait rhétorique posée à un moment par Bataille : « Pourquoi, avec les mêmes témoins, dit-on
que le traitement d’un sujet est différent selon que l’on soit sur TF1, France 2 ou Arte ? ». La réponse est que sur TF1, les « témoins » sont transformés en acteurs de
seconde zone. Coups de fil pour pêcher des informations passés sous une fausse identité, séquences du « roman-photo » de la vie des participants tournées dans des conditions de
totale artificialité, maquillage pour les scènes en plateau qui donne à tous et toutes (y compris les deux animateurs) une apparence sans rapport avec la réalité : en pointant leur caméra
sur ces parties triviales de la fabrication d’une émission de télévision, Friedman et Nataf dressent le portrait d’une machine à produire en série du mensonge à l’état pur.
Il y a cependant un point imprévu dans cette démonstration : le rôle du public, commanditaire invisible et intraitable plutôt que destinataire indolent et captif. L’hydre à trois têtes
formée par Bataille (incarnation à lui seul de la télé beauf, populiste, vulgaire), Fontaine (opportuniste silencieux visiblement là uniquement pour ramasser le pactole sans réfléchir aux moyens
d’y parvenir) et leur réalisateur Serge Richez (un véritable psychopathe celui-là, pour qui l’émission est semble-t-il un moyen de réaliser un fantasme profond de fouiller chez les gens et de
pénétrer leurs pensées intimes) ne règne en réalité que sur un minuscule royaume de stagiaires sous-payés et traités comme de la merde. Eux-mêmes subissent de manière violente – via l’audimat -
la dictature de la masse décérébrée, qui cherche dans la télévision une image idéalisée et globalisée d’elle-même. Une utopie de société formatée, uniformisée, fondée sur des raisonnements
binaires ; sans noirs, sans homosexuels, sans déphasés (l’adolescente avec un TOC, qui fait zapper un million de téléspectateurs). Cette utopie, ils veulent en être à la fois spectateurs et
acteurs : les scènes les plus édifiantes du film sont celles où des participants de l’émission acceptent avec entrain de jouer leur vie – aller au supermarché, fêter un anniversaire – selon
les indications de celui qui filme plutôt que de vivre et demander à la caméra de s’adapter. De nouveau, un raisonnement de Bataille ne fait que la moitié du chemin : effectivement, leur
public n’est pas « voyeur ». Il prend plutôt la forme d’un troupeau de moutons impatient d’éliminer les éléments disparates. Ce que Richez, plus réaliste, résume de la
sorte : « l’effort de comprendre est un luxe que notre public ne veut pas se permettre ». A la télévision de remplir cette exigence.