• White material, de Claire Denis (France, 2009)

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white-1Où ?

Au ciné-cité les Halles

Quand ?

Mercredi soir, à 20h20, en plan B d’une séance affichant complet au MK2 Beaubourg (dans le cadre du Festival du cinéma du réel)

Avec qui ?

MaFemme, et une salle garnie mais qu’une dizaine de spectateurs ont quittée en cours de route (le film n’est pourtant pas exagérément demandeur, et sa promotion n’était ni mensongère ni
racoleuse… le mystère reste entier)

Et alors ?

 

Il ne manque probablement à White material qu’une fin probante, ferme pour accéder au statut de grand film avec lequel il flirte une heure trente durant. Tel qu’il est,
le long-métrage nous abandonne dans un état d’égarement, de déroute envoûtant mais également inachevé, comme si quelque chose (mais quoi ? difficile à dire) n’avait pas été couvert. Ce péril
se trouvait toutefois au cœur du film depuis le début, attendant son heure pour se révéler au grand jour. Tant la psychologie des personnages principaux de White
material
, lesquels refusent obstinément de prendre la mesure de ce qui se joue autour d’eux, que la forme du scénario, pris dans un mouvement constant de balancier entre l’instant
présent et le proche passé, excluent ainsi toute projection vers l’avenir. Le film ne peut dès lors être autre chose que démuni lorsque survient son dénouement, inéluctable quels que puissent
être les dénis qui lui étaient opposés. Mais auparavant, il aura fréquemment été sublime.

 

L’héroïne de White material, Maria, gère une plantation de café dans un pays africain (non précisé). On l’imagine étant là depuis de nombreuses années ; de toute
manière le passé lointain existe ici aussi peu que le futur – pas de flashbacks, presque aussi peu d’allusions – et Maria est, dans les faits, là depuis toujours. Elle se voit dès lors comme la
semblable des locaux. Ce qui la pousse à ne rien changer à sa vie et à sa tâche alors que se déroulent une tentative de coup d’état et sa répression, sanglantes toutes les deux ; sans
comprendre (ou sans vouloir comprendre) que la blancheur de sa peau la distingue irrémédiablement de ses « semblables ». On peut aussi considérer que Maria se trompe tout autant sur la
démarcation tracée par le travail : elle se considère plus proche des employés noirs car elle non plus ne possède rien, la plantation appartenant à son ex-mari et au père de celui-ci, mais
aux yeux des employés elle appartient elle aussi au camp des patrons, de ceux qui ordonnent.

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Le premier acte du film, tout en ne s’en tenant qu’aux dialogues utilitaires de chacune de ses scènes, formule nettement cette fracture et son déni par Maria. Celle-ci emprunte le bus en se
fondant naturellement dans la masse des passagers noirs ; elle refuse l’aide à l’évacuation offerte par l’armée française. Mais dans la foulée de cette seconde scène, le film montre le
gouffre d’iniquité qui sépare la française des autochtones face à la menace des milices. Alors qu’elle se voit proposer comme moyen de fuite un hélicoptère militaire, ses employés ont au mieux
une motocyclette, sinon de simples vélos. La même fêlure réapparaît un peu plus loin, lorsque Maria fait face à un barrage de rebelles qu’elle tente d’amadouer en les interpellant chacun par son
prénom et son lien avec elle ; mais pour eux, cette femme blanche ne se résume plus qu’à l’argent, symboliquement (la possession de leur pays par des puissances étrangères) et prosaïquement
(les liasses de billets qu’elle a sur elle).

 

Une fois cet état des lieux fait, White material entre tout entier dans l’espace-temps déconnecté de la réalité que Maria tente de maintenir en état de marche – faire la
récolte du café, organiser la vie dans la propriété des employés intérimaires, forcer son propre fils à se lever à des heures décentes et à mener des journées normales… [A ce sujet,
l’intégration tardive des personnages secondaires blancs que sont le fils et l’ex-mari, et leur développement a minima, rendent leur présence dans le récit peu concluante]. La caméra de Claire
Denis contemple le débordement d’énergie de Maria, s’en fait l’écho sans détour ni malice ; mais elle se préserve dans le même temps une capacité de détachement, de recul face à cet exemple
d’évident aveuglement. La plupart des actions de Maria dans son monde clos se voient ainsi opposer une réplique indirecte prenant la forme d’un plan filmant soit des personnages quittant la
plantation, soit des scènes se déroulant à l’extérieur de celle-ci. White material navigue librement entre point de vue subjectif et objectif, ce qui ne manque pas
d’impressionner. Derrière la caméra, Claire Denis a réussi à trouver une position d’équilibre de cinéaste, qui capte l’interpénétration entre le scénario qu’elle a écrit (avec la romancière Marie
N’Diaye) et qui donnait de Maria une image plutôt négative, et l’incarnation pleine de force et de dignité qu’en fait Isabelle Huppert. La fusion des deux facettes crée un personnage complexe,
incertain au sein d’une situation elle-même incertaine.

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D’où ce sentiment permanent – et loin d’être déplaisant – que le film se dérobe sous nos pieds, qu’il ne pourra s’achever autrement qu’en ruine (ce qui est effectivement le cas, cf. le premier
paragraphe). La mise en scène accompagne ce mouvement en se gardant de montrer autre choses que des bribes : bribes de séquences (le film est une somme d’instantanés, le montage jouant
énormément – et talentueusement – de l’ellipse), bribes de destins (les personnages nous restent globalement opaques), bribes de lieux (les différentes zones de la plantation restent vaguement
reliées les unes aux autres), bribes d’actions (telle l’exécution des enfants soldats endormis). Ce n’est pas la peine de recoller ces morceaux, puisqu’ils finiront de toute façon disloqués,
voire carbonisés dans l’incendie aux échos fantasmagoriques qui signe la fin de la plantation et le point où se rejoignent passé et présent.

 

Ce conte d’un effondrement fait tout de même émerger une thématique, celle du massacre de l’enfance, de son sacrifice par la génération qui la précède (et donc, qui l’a engendrée). Chaque partie
de White material repose plus ou moins ouvertement sur ce principe. On ne sait trop qu’en faire dans l’immédiat, puisque le film n’a nulle ambition de délivrer un
message, d’aboutir à une conclusion ; mais ces images d’individus ou de groupes préférant éradiquer ses successeurs naturels plutôt que de leur céder quoi que ce soit qu’ils possèdent (un
pouvoir, une situation, une liberté) s’impriment solidement en nous.

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