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- Videocracy, de Erik Gandini (Italie, 2009)
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Où ?
A la maison, diffusé sur Canal+ et enregistré sur le disque dur de la Freebox
Quand ?
Dimanche matin
Avec qui ?
MaFemme
Et alors ?
Ovni dans le paysage cinématographique (il n’a d’ailleurs pas été distribué en salles, et n’est diffusé que de manière confidentielle par Canal+), Videocracy s’attaque à
un pouvoir monumental – celui du système médiatico-politique de Silvio Berlusconi – non par la face communément empruntée de l’enquête à charge à la Michael Moore, mais par
celle du ressenti. C’est plus un essai, au sens littéraire du terme, qu’un pamphlet. On y trouve plus d’impressions que de chiffres. L’œuvre est d’ailleurs ancrée dans le présent, et non tournée
vers le passé : l’essor de la pieuvre berlusconienne est traité une fois pour toutes, et de façon allusive, dans le prologue. Celui-ci remonte dans le temps jusqu’à l’origine possible des
dérives de la télévision italienne moderne (contrôlée à 90% par Berlusconi et où, rappelons-le, pas une émission ne se déroule sans son contingent de femmes-objets en bikini dandinant leurs
formes artificiellement avantageuses). C’est un jeu de 1977, où les téléspectateurs doivent appeler pour répondre à des questions en tous genres. Leur récompense en cas de bonne réponse est le
retrait en direct par une femme d’un de ses vêtements…
Cette image est suffisamment abjecte (la strip-teaseuse, seule femme sur le plateau, y est entourée d’hommes d’âge mur tous en costume trois pièces), pour que le big bang d’émissions vulgaires et
racoleuses qui a suivi cette étincelle, jusqu’à aujourd’hui, soit traitée en un montage accéléré. L’accompagnement musical, sombre et menaçant, choisi pour soutenir ce montage est la première
bonne décision de cinéma prise par Gandini. Elle lui permet, sans dire un mot, de révéler la véritable nature manipulatrice et dangereuse de toutes ses émissions plus vulgaires les unes que les
autres. Un deuxième parti pris notable est la quasi-absence à l’écran de la personne de Berlusconi – les rares fois où il apparaît sont de loin (une prise de vue depuis les derniers rangs d’un
meeting) ou de manière indirecte (une photo). Manière d’affirmer que le système qu’il a contribué à rendre dominant fonctionne désormais indépendamment de lui, et donc qu’il lui survivra très
certainement. C’est cela, le présent que documente Gandini : une Italie où l’aristocratie à laquelle le peuple souhaite ressembler est la « vidéocratie » du titre ou, pour les plus
ambitieux, Berlusconi lui-même. Que regroupe cette vidéocratie ? N’importe qui remplissant les critères suivants – jeune, beau, riche d’une fortune accumulée rapidement, passant à la télé
(ce qui vient souvent naturellement une fois les trois autres accomplis). Pour les hommes, il s’agit principalement de joueurs de football ou de candidats d’émissions de télé-réalité. Pour les
femmes, c’est plus ardu, car la vidéocratie est bien sûr d’un grand machisme. Candidate de télé-réalité fonctionne aussi, sinon la meilleure piste à suivre est miss météo, pour l’opportunité
qu’elle offre d’épouser un « bon parti » mâle de la vidéocratie.
Le peuple en tant que groupe est cruellement exposé (ou plutôt, s’expose lui-même cruellement) dans une scène qui condense tout ce qu’il est possible de dire à son propos : un casting ouvert
dans un centre commercial pour devenir une de ces bimbos de plateau TV, où les filles répondant au critère contemporain de minceur paradent devant un public de passants et miment sans gêne ce que
l’on nommerait lap dance dans un strip club. De cette masse populaire, Gandini extrait un destin individuel, celui de Ricky qui pour atteindre son but de passer à la télévision s’est
constitué un personnage amalgamant Ricky Martin pour la chanson et Jean-Claude Van Damme pour les arts martiaux. Comme le film 20 minutes de bonheur le faisait récemment de ce côté-ci des Alpes, cette partie de
Videocracy montre comment des milliers (des millions ?) de gens modèlent désormais leur vie toute entière par mimétisme et subordination envers la télévision. La
présence d’une caméra devient une sorte de déclencheur pavlovien, comme le révèle ce moment déplaisant où Ricky concocte une scène de dispute surjouée avec sa mère devant la caméra de Gandini –
qui ne rentre pas dans le jeu et interrompt le « spectacle » en coupant sèchement vers autre chose.
Deux autres figures sont scrutées avec pertinence par Videocracy, pour ce qu’elles symbolisent de la société italienne actuelle. Il y a Fabrizio Corona, un homme que
l’on peut qualifier d’ambitieux mais qui est incapable de penser en dehors des limites du système – il ne veut pas renverser Berlusconi, mais atteindre la même réussite que lui. Du coup il se
cantonne à être un ambitieux cynique, qui met à profit ses capacités dans l’unique but de ramasser lui aussi l’argent en embrassant à son tour le rôle de (relativement) puissant manipulateur.
Corona a débuté en exploitant la phobie que les « stars » ont des paparazzi, et des images non contrôlées qu’ils génèrent – il les faisait cracher au bassinet contre l’assurance que des
photos non désirées ne paraîtraient pas. Puis, après avoir été condamné et placé en prison pour ce racket, il s’est réinventé en martyr de la liberté, ce qui est un rôle de star comme un
autre : il vomit sur les politiques et la justice (comme tous les autres), il a son émission de télé (comme tous les autres), il facture à prix d’or de futiles apparitions en public (comme
tous les autres). L’entendre être conscient de sa condition de cafard, aussi inutile que nuisible à la société, le rend plus honnête que la moyenne de ses semblables mais pas moins méprisable.
Enfin, il y a Lele Mora, représentant des agents de l’ombre, très haut placés. Son portrait offre l’occasion à Gandini de révéler deux choses de première importance : les racines profondes
du système (le fascisme mussolinien, dont la capacité de séduction n’a jamais été complètement annihilée en Italie), et l’identité de ceux qui en profitent réellement. Ce ne sont pas ceux qui
sont devant les caméras, mais bien ceux qui sont derrière – des hommes comme Mora, qui décident qui est une star et qui n’en est plus une, et qui possèdent les villas luxueuses en Sardaigne. Tous
les autres sont leurs courtisans, leurs pantins, ou leurs victimes potentielles.