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- Tournée, de Mathieu Amalric (France, 2009)
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Où ?
Au ciné-cité les Halles
Quand ?
Dimanche soir, à 20h
Avec qui ?
Seul
Et alors ?
En ouvrant et en refermant sa Tournée par des scènes très proches de celles que l’on trouve aux mêmes moments du Meurtre d’un
bookmaker chinois de John Cassavetes, Mathieu Amalric concrétise à l’écran le lien de filiation entre les deux films. Ce sont une scène de préparation des danseuses dans
leur loge avant leur spectacle au début, et à la fin une longue discussion à cœurs ouverts entre les mêmes et leur producteur / personnage principal, Joachim. Entre les deux, Amalric développe un
sujet analogue à celui de Cassavetes : le portrait d’un homme qui vit sa passion artistique à pleine vitesse et en y mettant toute son énergie, pour ne pas avoir à vivre sa vie réelle et ses
tracas familiaux, sentimentaux, financiers et autres.
Tournée se distingue de Meurtre d’un bookmaker chinois, pour de bonnes raisons et pour d’autres moins bonnes. Parmi les bonnes raisons, il y a
l’idée d’Amalric d’être allé chercher les comédiennes (et le comédien) autodidactes de New Burlesque – du strip-tease déjanté comme les noms de scènes de ses interprètes (Mimi de Meaux,
Dirty Martini, Roky Roulette, etc.), et aussi recherché dans sa préparation, ses costumes et ses accessoires qu’il est volontiers grotesque dans son exécution. La troupe a une présence évidente à
l’écran, de l’énergie à revendre et nous captive autant sur scène qu’en coulisses. Parce qu’elle sait s’ajuster au rythme propre à cette bande et en redoubler l’ardeur, la mise en scène est
l’autre source de jubilation offerte par Tournée. La lumière modelée par le directeur de la photographie Christophe Beaucarne est superbe, parce qu’elle est belle tout
en n’ôtant rien du caractère foncièrement organique, physique du film. Elle enjolive la manière dont la caméra saisit les corps et les visages, les enveloppe, les couve presque. Leur force vitale
à tous se transmet ainsi sans déperdition au film lui-même. Le découpage alerte et refusant les temps morts entre les scènes parachève cette épatante entreprise de réalisation.
Le capital sympathie du film et de ses acteurs est alors tel que j’aurais aimé pouvoir m’extasier autant sur ce qui fait le lien entre le concept et la mise en scène – le scénario.
Malheureusement, Tournée me laisse sur l’impression qu’Amalric n’a lui-même pas encore trouvé quelle histoire raconter dans son film ; film pour lequel il n’a eu,
somme toute, qu’une idée pour l’arrière-plan. Les pistes abordées successivement s’apparentent à des tâtonnements, soit parce qu’elles interviennent de manière artificielle (la digression
passagère qui fait de Mimi le co-personnage principal), soit parce qu’elles restent trop mollement exploitées (l’allée et venue des deux enfants de Joachim). Le sentiment d’indécision, de
louvoiement se fait également ressentir au travers de ces assez nombreuses répétitions de scènes et de motifs. Certaines sont regrettables en soi, ainsi cette scène de sexe (bien) filmée
puis racontée à un autre personnage. D’autres non – le gag acide des employés d’hôtel interchangeables, la chanson des Smits placée aux génériques de début et de fin – mais l’accumulation
générale les déprécie. A force de ne mettre personne au premier plan, Amalric prend de plus le risque de se laisser déborder par une misanthropie qui est certes plus affaire de maladresse que de
dessein ; mais qui existe bel et bien, à force de ne montrer du monde extérieur au spectacle que des villes grisâtres peuplées par des habitants médiocres (un éjaculateur précoce, des
invités qui se battent à un mariage, une caissière hystérique…).
Amalric aime ses danseuses, mais il n’en fait pas des personnages de fiction. Il n’aime pas les gens croisés sur la route de la tournée, et il le fait paraître un peu trop. Et Joachim ? Il ne
l’aime pas vraiment non plus. Sur ce point, la rupture avec Meurtre d’un bookmaker chinois est totale puisque dans ce dernier, Cosmo, le producteur de la revue, se voit
comme un artiste et est vu comme tel par Cassavetes. Il sacrifie délibérément tout le reste à son art, tandis que dans Tournée le lien de cause à effet est inversé car
l’art est tout ce sur quoi Joachim peut encore compter après avoir gâché tout le reste. Cosmo conçoit les numéros de ses danseuses, et l’agencement et l’éclairage du cabaret ; Joachim est
une sangsue qui se raccroche au talent de Mimi et des autres, afin d’en tirer profit – fuir encore et toujours ses échecs passés, renouer avec le succès. Et de fait, Meurtre d’un
bookmaker chinois est un autoportrait intentionnel (Cassavetes s’est transposé en Cosmo), et Tournée un autoportrait par défaut – renforcé par le fait que
le réalisateur joue lui-même le rôle principal, après avoir eu en tête d’autres personnes. Amalric et Joachim se ressemblent : tous deux ne savent pas trop quoi faire de ces perles rares du
New Burlesque qu’ils ont recrutées. Alors ils les observent affectueusement, ce qui est en permanence plaisant mais ne règle pas tout.