• Tideland, de Terry Gilliam (Canada, 2005)

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Où ?

A la maison, en DVD zone 2

 

Quand ?

La semaine dernière

 

Avec qui ?

Seul

 

Et alors ?

 

Le public aime-t-il réellement Terry Gilliam ? A l’image de ce qui est arrivé à David Lynch à chaque fois qu’il s’est essayé à réaliser un long-métrage foncièrement personnel (le film
Twin Peaks, Inland Empire) sans
qu’y soit intégrée une passion saphique entre de jolies jeunes femmes, Gilliam s’est fait violemment éreinter lors de la sortie de Tideland, pourtant son film le plus libre de
toute contrainte – et d’ailleurs réalisé dans ce but, en réaction au cauchemar de production que fut Les frères Grimm. A croire que les gens attendent de ces artistes, et des
autres dans leur catégorie, qu’ils adoptent le comportement finalement très sage d’un Tim Burton, qui ne franchit jamais avec plus d’un seul pied la ligne jaune séparant la normalité de la folie.

Car si Tideland n’est pas exempt de défauts, ceux-ci ne sont jamais que le revers de la médaille d’une indépendance absolue et pas toujours évidente à maîtriser. Dans ce film,
Gilliam fait ce qu’il a toujours fait : créer un monde décalé, alternatif au notre. La différence étant que cette fois-ci, aucun producteur frileux ne surveille par-dessus son épaule et lui
demande de bien veiller à conserver – ou à ajouter – des passerelles bien identifiées entre cet univers fabriqué de toutes pièces et la réalité dans laquelle évolue le spectateur. Seul maître à
bord du navire Tideland, Gilliam a pour premier objectif de saboter tous les points d’attache auxquels on pourrait venir fixer de telles passerelles. La situation initiale du
récit, avec la toute jeune héroïne Jeliza-Rose aux prise avec un père junkie et une mère à moitié folle, est ainsi rapidement bazardée avec les décès successifs de ces deux parents certes peu
recommandables mais malgré tout adultes. Pour ne rien gâter, avant son overdose fatale le père de Jeliza-Rose a eu la bonne (?) idée de partir avec elle dans la maison de sa propre mère. Laquelle
est morte depuis belle lurette, tandis que sa maison est un modèle d’isolement au fin fond de la campagne, sans aucun voisin à des lieues à la ronde.

Jeliza-Rose se retrouve donc livrée à elle-même, avec pour seule compagnie le cadavre de son père et quatre têtes de poupées Barbie avec qui elle tient des conciliabules imaginaires. Un peu plus
tard, elle découvrira – et nous avec elle – qu’elle n’est pas absolument seule mais a deux voisins éloignés, un frère et une sœur occupant une maison dans la prairie voisine. Jeliza-Rose n’y
gagne pas forcément au change : la sœur, Dell, est paranoïaque et cyclothymique et le frère, Dickens, est débile mental profond depuis une trépanation cérébrale. Avec un tel programme,
Tideland est de toute évidence dérangeant. Quant à le trouver repoussant, malsain, néfaste, cela revient à projeter sur le contenu – l’histoire – une opinion qui n’engage que
celui qui l’émet, sans tenir compte de ce que le contenant – le film – cherche à nous dire de cette histoire. Même si ça peut ne pas être évident pour tout le monde car il n’est pas du genre à
s’abaisser à user des clichés du genre (voix-off, atmosphère gnangnan via les couleurs et la musique), Gilliam mène son récit en s’accrochant d’un bout à l’autre au point de vue de l’enfant qui
en est le protagoniste principal. Les référents moraux qui structurent la société des adultes lui sont étrangers ; et les seuls objectifs qu’elle trouve à poursuivre sont la survie et
l’envie de passer de bons moments, de s’amuser.

Les deux choses passent par un même intermédiaire : l’imagination. Jeliza-Rose s’invente en temps réel des histoires extravagantes, des dangers et des amitiés qui viennent agrémenter le
quotidien de ses journées. Cette surcouche n’est pas la partie la plus réussie du film, car elle est un peu trop évidente dans ses intentions (les lourds clins d’œil à Alice au pays des
merveilles
) et surtout assez redondante avec le quotidien susmentionné. Tout est déjà bien bizarre et singulier dans le monde qui entoure Jeliza-Rose, les personnes (Dell et Dickens) comme
les paysages, chose que Gilliam fait remarquablement ressortir par ses choix visuels. Il n’y a pas un seul plan où la caméra accepte d’adopter une conduite convenable, en se tenant bien droite là
où on attend la trouver ; comme un enfant qui ne saurait pas rester en place, la puissance de son imaginaire prenant sans cesse le pas sur les injonctions et les règles venant de
l’extérieur. Les éclairages sont également employés comme un superbe instrument de déréalisation, en exacerbant au choix la présence de couleurs vives – à l’extérieur, dans ces champs lumineux
s’étendant à perte de vue comme si plus rien d’autre n’existait sur Terre – ou leur absence – à l’intérieur des deux maisons, lieux d’enfermement, de dangers, de recoins aveugles où l’on n’est
jamais complètement maître de ses actions et de leurs conséquences. Les maisons sont des espaces de règles, des reproductions miniatures de la société des hommes, que Jeliza-Rose voit
instinctivement comme telles et dont elle se méfie en conséquence.

Tideland est un récit d’enfant sauvage, mais vu autant que possible du point de vue du sauvage et non de la société qui lui fait face. L’idée est peut-être trop ambitieuse et
subversive pour que son exécution s’effectue sans heurts ; tout comme son héroïne, Gilliam se perd quelque peu sous l’effet de l’ivresse d’une telle liberté en étirant inutilement son récit
par des scènes jamais mauvaises mais qui répètent les mêmes enjeux et motifs. La force rebelle et l’unicité du film se diluent quelque peu dans ces instants, même s’ils ne durent jamais
longtemps. Surtout, l’œuvre se termine sur un temps fort et non dans un creux mou : la brusque et furieuse explosion de violence qui sonne le glas du trio excentrique Jeliza-Rose / Dell /
Dickens dans l’espace réduit (et parfaitement exploité) d’une chambre à coucher, suivie d’une explosion d’une toute autre magnitude. Il est bien évidemment superflu de préciser que Terry Gilliam
a le bon goût de faire usage de son clap de fin alors que la situation est des plus incertaines et moralement ambiguës. Jusqu’au bout du film, la question de savoir s’il vaut mieux vivre sa vie
« by the book » ou en se tenant sciemment à la marge ne trouve donc pas de réponse. Logique, le réalisateur n’ayant lui-même pas encore arrêté sa position sur le sujet.

 

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