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- The host, de Bong Joon-ho (Corée, 2006)
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Où ?
A la maison, en DVD zone 2
Quand ?
Dimanche après-midi, il y a dix jours
Avec qui ?
Ma femme et mon amie cinéphile
Et alors ?
Qu’est-ce qu’un monstre ? Une chimère, une création de notre imagination visant à exprimer des angoisses ou des révoltes que l’on ne sait formuler d’une autre manière, plus directe. Bong
Joon-ho applique cette définition à la lettre dans The host, où la place explicite du monstre à la manœuvre importe moins que les peurs contemporaines qu’il convoque. Ce monstre
est la surface visible de la somme de toutes ces peurs, plus que le déclencheur passager de celles-ci. Cela explique que sa présence à l’écran et dans le récit soit à ce point aléatoire et
intermittente. Ses premières apparitions n’en sont d’ailleurs pas, puisqu’il s’agit de deux courtes scènes où il n’est ni visible (les personnages l’aperçoivent, mais pas le spectateur) ni actif.
Il n’est que de passage dans ces saynètes dont le sujet central est tout autre – une partie de pêche, un suicide.
Un désaxement similaire du point focal de l’intrigue se produit dans la première vraie grande séquence du film, qui est avant tout une exposition des héros humains et, par accident, le moment de
révélation du monstre. Ce dernier déboule dans un parc de Séoul longeant le fleuve Han alors que la scène a commencé depuis plusieurs minutes, et qu’elle se concentrait sur d’autres enjeux.
L’arrivée inopinée et inhabituelle (il ne fait pas immédiatement peur, avec son aspect bizarroïde mi-poisson mi-batracien) du monstre prend de court le réalisateur autant ses personnages. Bong ne
nous a donné aucun signe avant-coureur permettant d’envisager cette apparition, laquelle a lieu dans des conditions particulièrement anti-spectaculaires – au détour d’un travelling qui était
initialement censé nous mener ailleurs. L’incrédulité du film à l’égard de cet élément perturbateur est d’ailleurs si forte que ce premier face-à-face a tout d’un faux départ. Tout comme les
badauds du parc, Bong se lasse vite de cette attraction, passe à autre chose… et n’est pour rien (ou en tout cas réussit à nous le faire croire) dans le retour du monstre dans le cadre, en
arrière-plan mais fonçant bel et bien droit sur nous.
En réaction, la caméra part dans un travelling enfiévré pour tenter de suivre le plus longtemps possible le monstre dans sa chasse à l’homme, repoussant au maximum la coupe vers un autre axe qui
ferait perdre une partie de l’élan de l’instant. La suite du film est toute entière à l’image de ce mouvement de caméra. A partir de celui-ci, The host n’est plus qu’un sprint
échevelé qui balaye les lieux, les personnages, les intrigues à une vitesse phénoménale. Le calme ne reviendra qu’en toute fin de parcours, accompagné du retour à un lieu et à une action uniques.
Bong cherche en permanence à donner de la vitesse à son film, et à montrer cette vitesse, en retenant prioritairement des axes qui l’amplifient. Pervers, il n’a pas de scrupule à aller même, à
plusieurs reprises, plus vite que la situation l’exige. Lors de la première attaque, c’est un travelling poursuivi quelques secondes de trop qui nous fait comprendre en même temps que le héros,
et non pas avant lui, qu’il a lâché la main de sa fille. Plus loin, ce sont des ellipses inouïes, littéralement parmi les plus brillantes qu’il m’a été donné de voir, qui précipitent brusquement
et à dessein le récit en enjambant impudemment l’issue d’une scène au suspense majeur. Le temps que cette résolution nous soit révélée de manière indirecte par le contenu des séquences suivantes,
la tension reste à son comble – aucun répit ne nous est ainsi accordé.
Après son assaut initial, le monstre est beaucoup moins présent que ce que le cahier des charges tacite du genre exige. Bong pousse l’hérésie jusqu’à faire aller decrescendo cette présence –
avant le violent retour de flamme de l’apocalyptique affrontement final, bien sûr. The host doit être abordé comme un film choral, dont le monstre est un protagoniste de même rang
que les autres. Deux des suppléments du DVD exposent d’ailleurs le travail de façonnage de ses caractéristiques, de sa psychologie. On y apprend plus en détail les circonstances de sa naissance,
de sa sortie au grand jour puis de sa relative discrétion ; ainsi que des précisions sur la peur du monde non-aquatique (auquel il n’est pas acclimaté) et le mode de digestion de ce qui est
bien plus qu’un simple assemblage de lignes de code dans un logiciel d’images de synthèse. On sent du respect, de l’empathie envers cette créature « malheureuse »,
« qui souffre » de ses difformités. Elle est, au bout du compte, une victime ayant comme seul but de survivre ; et qui applique pour cela à son niveau le principe
séculaire du se-ori (consistant, pour les enfants orphelins et affamés, à avoir le droit de voler dans les champs de quoi manger à leur faim) énoncé et mis en pratique par deux des
personnages humains du récit.
La créature finit ainsi par symboliser, sous sa forme la plus extrême, la brutalité de la condition à laquelle sont réduits tous les laissés pour compte, les damnés de la terre qui peuplent le
Séoul de The host. Car elle n’a même pas ce piètre atout qu’est le fait d’être nombreux (les jeunes, les vieux, les chômeurs, les sans diplômes, les clochards…) et donc de pouvoir
s’entraider, pour espérer sauver au moins quelques uns d’entre eux. Solitaire en plus d’être méprisé et craint, le monstre est voué à être éliminé sans que sa mort serve à quoi que ce soit. Chez
les humains, ceux parmi les premiers rôles qui périssent au cours du film le font en protégeant ou en sauvant leurs proches ; même s’il s’agit là d’un piètre lot de consolation au regard de
l’injustice et du mépris que les puissants, les privilégiés font régner. Ces derniers sont les véritables parasites ravageurs du film, et du monde. La conscience politique à l’œuvre dans le
dernier film en date de Bong, Mother, est déjà tout à fait éveillée dans The host avec une dénonciation similaire du sacrifice des générations nouvelles par
celle en place, dans le but de préserver ses prérogatives. Qui meure dans The host ? Principalement des jeunes, voire des très jeunes.
Le cinéaste va plus loin encore en profitant de la perspective très large de The host – une ville entière face à un monstre plutôt que quelques personnes face à un crime – pour
étendre d’autant la portée de son ressentiment. Se retrouvent ainsi dans sa ligne de mire la soumission globale de la Corée aux exigences des USA (depuis la guerre qui la sépara de sa partie
Nord, la Corée du Sud est effectivement un des valets les plus diligents de la première puissance mondiale), l’inapaisable impérialisme militaire de ces mêmes américains, et encore la propension
des sociétés aisées du 21è siècle à développer des accès de panique sanitaire catastrophistes. Sur ces points, The host puise son inspiration dans l’actualité du moment de sa
réalisation – l’invasion de l’Irak, le SRAS. Mais le film est à ce point fort et intelligent qu’il invoque tout aussi pertinemment le passé (le funeste Agent Orange) et le futur (la pandémie de
grippe A, largement survendue). En somme, il devient une œuvre de référence en plus d’être un bijou de cinéma. Soit un lauréat tout désigné pour intégrer le Top 10 de la décennie 2000-2009.
Un mot supplémentaire sur les bonus, à propos des scènes coupées. On y trouve une très bonne séquence en particulier, mais qui s’intègrait effectivement difficilement au récit, ayant pour
contexte la Coupe du Monde de football s’étant déroulée en Corée en 2002 (encore un ancrage dans la réalité). Et en général, les commentaires captivants du cinéaste sur ces scènes font regretter
l’absence d’un commentaire audio couvrant le film dans son intégralité.