• Retour sur La nuit nous appartient (avec le DVD)

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Où ?

A la maison (1er film après le retour de vacances, le soir même), en DVD zone 2 Wild Side

Quand ?

Jeudi soir

Avec qui ?

Ma femme

Et alors ?

L’important succès critique et public rencontré en France par La nuit nous appartient à la fin de l’année dernière a poussé l’éditeur Wild Side à sortir le DVD du film dans une
version collector à la jaquette regrettable en plus d’être hideuse – sur fond noir, un badge de police arborant le titre du film – mais aux suppléments conséquents et instructifs. Cela ne
surprendra pas ceux qui ont eu entre leurs mains ou ont entendu parler du DVD zone 1 de The
yards
, le précédent long-métrage de James Gray : le cinéaste est un perfectionniste doublé d’un cinéphile pointu, et est donc doublement motivé à l’idée d’accompagner ses films
par des bonus qui en sondent la forme et le fond.

On ne trouve pas de scènes coupées sur ce DVD, ce qui confirme bien que Gray a eu le final cut sur son film – et rend donc d’autant plus impatient de l’entendre décrypter ce qui
impressionne dans La nuit nous appartient comme ce qui dérange – à savoir principalement l’orientation prise par le scénario dans le dernier acte, qui m’avait semblé déséquilibrer
tout l’édifice du film lors de la 1ère vision (voir ma critique). Avant d’arriver au plat de résistance qu’est le commentaire audio, un parcours au sein du DVD de suppléments permet de découvrir un making of
étonnamment réussi et réfléchi pour un film récent. Celui-ci laisse de côté la promo superficielle pour nous faire passer une heure en compagnie d’artistes passionnés et talentueux. Tous les
aspects d’écriture et de mise en images, de vision à long terme et du quotidien d’un tournage sont couverts. On s’attarde longuement sur la recréation du Brooklyn de 1988 (les appartements, les
boîtes de nuit, les commissariats…), année où se situe l’histoire, sur les scènes d’action et cascades, sur la photographie aussi (la tonalité visée est décrite comme « la peinture du
Caravage sans le fond religieux, la Mort dans tout ce qu’elle a de solennel »
). La parole est le plus souvent donnée aux différents techniciens – pour la plupart des assistants sur les
précédents films de Gray, à qui a été donnée la chance de tenir des postes importants cette fois-ci – et aux acteurs, les collaborateurs favoris du cinéaste. Il retrouve ici Joaquin Phoenix et
Mark Wahlberg dans des rôles encore plus complexes que dans The yards, révèle les talents de comédienne d’Eva Mendes, et réalise un rêve de gosse en collaborant avec Robert
Duvall, un autre monument (après James Caan dans The yards) de ce cinéma des années 70 qu’il aime tant.

Après avoir parlé des autres ou les avoir laissés parler, Gray se concentre sur lui-même dans l’interview d’une 1/2 heure qui constitue l’autre morceau de choix du disque 2. chaque minute en est
passionnante, comme toujours avec le réalisateur. Il parle sans retenue de son environnement familial (ses grands-parents immigrants russes, son père qui ne comprend rien au cinéma et au désir
d’en faire, son frère avec qui les relations sont orageuses) car celui-ci irrigue de toute évidence son œuvre – tout comme le New York des années 80, celui de son adolescence et donc de ses
souvenirs les plus marquants. On comprend au fil de cette interview que si Gray réussit à faire du grand cinéma de genre, c’est car il est capable de transposer ses « démons » et
obsessions personnels dans d’autres univers, de se détacher de l’autobiographie plate. Par ailleurs, il revendique – ambitieusement, mais à raison – une continuité avec Virgile, le théâtre puis
le cinéma classique : comme ces glorieux prédécesseurs, il vise une dramaturgie forte, génératrice d’émotions complexes et bouleversantes (tel le concept central du film de « vengeance
triste »
). Réaliste, il assume ne pas parler « au » public mais à « un » public, ouvert à l’art et sensible à ses effets sur l’être humain. Et il aimerait que ce
public soit le plus large possible…

Le commentaire audio décrit comment les « fondamentaux » présentés dans les autres bonus sont appliqués à chaque détail du film. Gray emploie souvent l’expression « It
means »
, que ce soit pour un plan, un décor, une chanson, une inflexion de jeu d’un acteur. Face aux séquences les plus complexes et/ou les plus importantes pour le sentiment
d’inéluctabilité face aux pressions familiales et sociales que Gray souhaite véhiculer (il dit explicitement que son film est anti-« rêve américain »), il décompose ce qui a été mis en
place dès le tournage ou a au contraire pris forme après coup. Dans le 1er cas, la difficulté logistique d’une longue scène de dialogue à plusieurs personnages – avec ses soucis de continuité, de
couverture sous beaucoup d’angles – ou le choix d’employer de lents zooms avant pour signifier la perte de contrôle de Bobby, le personnage de Joaquin Phoenix ; pour le 2nd, la visite de
l’atelier clandestin de traitement de la drogue – la séquence la plus puissante du film – est l’occasion d’une remarquable leçon de montage (la sensation transmise visuellement d’une marche vers
les ténèbres, vers l’enfer) et de mixage (la musique est constituée d’une seule note de cordes, à laquelle ont été rajoutés des sons indéfinis et appuyés par des basses très fortes).

Gray donne encore bien d’autres précisions qui renforcent les visions suivantes de La nuit nous appartient : le souci de ne jamais tomber dans le piège de la
« violation du point de vue », ici celui de Bobby (ce qui explique entre autres qu’on ne voit pas l’évasion du méchant) ; ou encore le fait qu’il n’hésite par contre pas à
exploiter sa cinéphilie en prenant des idées dans des classiques. La lampe dans le champ qui cache les visages des acteurs dans la scène de rupture entre Bobby et Amada vient tout droit de
Rosemary’s baby, afin d’aider à faire passer un embranchement un peu forcé du scénario, qui ouvre sur cette dernière partie qui pose problème – et sur laquelle Gray explique en
toute franchise ses objectifs et donne en quelque sorte son droit de réponse aux reproches qui lui ont été faits. Personnellement, je ne suis toujours pas convaincu. (attention, spoilers)
Si La nuit nous appartient est le Parrain inversé de Gray – dans la police plutôt que la mafia, mais avec le même quatuor de personnages et la même force tragique
de la destinée -, ce dernier a cependant oublié que le film de Coppola dure presque 3h et non les 1h45 standard. Cette heure supplémentaire est ce qui manque à La nuit nous
appartient
, car elle aurait permis de développer le point culminant du scénario (la double perte par Bobby de son père et de sa fiancée, ainsi que son engagement dans la police comme on
devient prisonnier) avec les mêmes qualités que les grandioses 80 premières minutes : lenteur calculée dans la progression des sentiments et sens de l’utilisation des scènes d’action comme
vecteur du récit. Au lieu de quoi, Gray nous prive de ce double deuil en basculant directement sur le dénouement, qui cherche à régler tous les points ouverts de l’intrigue en même temps. Comme
cette ultime séquence n’a de plus aucune cohérence avec ce qui a précédé (tournée de jour, dans un décor sauvage et non urbain, et dénuée de suspense), elle déstabilise brutalement le film et en
brouille le message.

Ce DVD ne m’a donc pas fait changer d’avis ; il a renforcé mon plaisir devant la 1ère partie du film, de même que mon rejet de son final.

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