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- Politique-fictions : La Zona (Rodrigo Pla, Mexique) et Le nouveau protocole (Thomas Vincent, France)
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Où ?
A l’UGC ciné-cité Bercy (où les ouvreurs sont de vrais cons) pour le premier, et au Rex pour le second
Quand ?
Ce week-end (samedi soir et dimanche matin)
Avec qui ?
Ma femme pour La Zona (salle moyenne plutôt remplie) et seul pour Le nouveau protocole (une dizaine de spectateurs dans une petite salle)
Et alors ?
Et si le cinéma français se refaisait une beauté dans le polar ? En dehors des réussites inclassables et marginales (Didine, Andalucia), les 2 meilleurs films français du 1er trimestre appartiennent en effet à ce genre : il
s’agit des Liens du sang et de ce Nouveau protocole. Ce
dernier n’est pas exempt de défauts, en particulier dans sa première heure qui fait penser à un décalque trop limité dans ses moyens et ses ambitions de The constant
gardener. Sur le même thème du diktat silencieux du lobby pharmaceutique, ici personnifié par le combat d’un père pour savoir si l’accident de voiture qui a coûté la vie à son fils
est lié à la prise d’un médicament expérimental, Le nouveau protocole reste pendant trop longtemps confiné dans un tout petit espace. Sans être absurde en soi, le
caractère amateur (des altermondialistes malhabiles et peu subtils s’en prennent à des sous-traitants interchangeables) et franco-français – on navigue entre une forêt des Vosges et la banlieue
parisienne – du film l’empêche de réellement décoller. Gênante aussi est la manière qu’a le scénario de faire l’essuie-glace entre les thèses d’un complot cynique des puissants et d’une paranoïa
incontrôlée des anonymes, qui ne mène nulle part et annule une partie des efforts faits sur la forme (mise en scène, lumière, musique).
Heureusement, l’excellente dernière partie remet les choses en place, et on comprend alors que Le nouveau protocole souffre surtout de mettre trop de temps avant de
basculer dans la seconde phase inhérente à tout film de gauche d’aujourd’hui - lorsque le cours des événements force le héros à passer outre ses doutes, et à se lancer dans l’action tranchée
même s’il n’a pas toutes les preuves pour appuyer son choix. C’est l’unique alternative laissée au héros après une longue et remarquable séquence de course-poursuite : fuir à l’étranger,
s’infiltrer dans une conférence économique d’envergure, confronter quelqu’un possédant de réelles responsabilités et un réel pouvoir. Le film combine alors de très belle manière une science du
suspense toute hitchcockienne (se payant même le luxe dans son final de citer avec brio le climax de L’homme qui en savait trop) et une réflexion aiguë sur les
dérives de notre société moderne. Usant de dialogues pertinents (« ne plus croire en les médicaments, ce serait ne plus croire en rien ») plutôt que d’interminables prêches,
Thomas Vincent et son coscénariste Éric Besnard remettent en question la légitimité de l’interminable course au progrès, laquelle semble ne plus servir qu’à augmenter les inégalités sociales et
économiques au profit d’un nombre de plus en plus faible de privilégiés. Les autres meurent, ou tombent dans une rébellion plus extrême qu’ils ne le souhaiteraient.
Comme un fait exprès, presque en même temps que Le nouveau protocole sort un film mexicain en forme de métaphore de cette dernière phrase. La
Zona se veut beaucoup moins terre à terre que son congénère français, et le Lion du futur (récompensant le meilleur 1er film) remporté à Venise a d’ailleurs en partie dû récompenser
la capacité du réalisateur Rodrigo Pla à appliquer dans une intrigue et un lieu a priori contemporains les recettes de films fantastiques comme Jurassic Park ou
Les chasses du comte Zaroff. La zone résidentielle hermétiquement séparée du monde
extérieur qui sert de lieu au film évoque le parc d’attractions artificiellement recréé dans la première de ces références. La comparaison passe en particulier par les systèmes de
protection (rondes de gardes privés, caméras de surveillances omniprésentes) et leur défaillance nocturne qui permet l’inconcevable : que la tranquillité et la sécurité des riches
présents sur les lieux soient mises en péril.
Dans La Zona, ce ne sont donc pas des dinosaures qui s’évadent mais des petits voyous qui entrent. 2 d’entre eux sont tués sans sommation par les habitants, au prétexte
de la sacro-sainte légitime défense ; le 3è, Miguel, s’en sort mais reste en sursis, car toujours prisonnier de l’enceinte de la Zona. C’est là qu’intervient la 2è influence, celle de
…Zaroff : tout en obstruant l’enquête de la police, les résidents lancent de sang-froid (un peu trop d’ailleurs : certains personnages hâtivement croqués
frôlent la caricature) une battue humaine pour éliminer l’intrus. La mise en scène de Rodrigo Pla épouse remarquablement la différence d’humanité entre les personnages. Rigoureuse et glaciale
avec les habitants, la caméra reprend vie et une présence plus chaleureuse, plus sensible quand elle rejoint Miguel, dont la peur panique est à la hauteur de son désir absolu de (sur)vivre.
A l’instar de celui du Nouveau protocole, le scénario de La Zona comporte dans sa 1ère moitié un certain nombre de longueurs, conséquence d’une
envie de maintenir le plus longtemps possible entre les parties en présence un inquiétant statu quo, le calme avant la tempête. Ces atermoiements sont moins gênants chez le mexicain que chez le
français, pour 2 raisons : les filiations cinéphiles évoquées plus haut, et le fait que les enjeux moraux du film sont beaucoup plus troubles et dérangeants. Alors que Le nouveau
protocole questionne les nouvelles règles en vigueur dans notre civilisation, La Zona regarde au travers de celles-ci, ramenant les comportements des uns
et des autres à leur barbarie profonde. Il n’y a pas de « gentil » dans ce film, où l’adage « œil pour œil, dent pour dent » est appliquée par tous. On pourrait même lui
accoler une autre maxime, « dans l’embarras, n’hésite pas à frapper sur plus faible que toi ».
Dans les grandes lignes, la confrontation finale du film, une fois Miguel retrouvé et livré à la haine des résidents, s’inscrit dans la grande lignée des films misanthropes, du
Furie de Fritz Lang au Edward aux mains d’argent de Tim Burton. Rodrigo Pla signe là un remarquable dernier acte, où déferle une violence
primitive et incontrôlée qui se passe de dialogues. De plus, à la marge, il déploie une vision des choses encore plus navrée que ses glorieux prédécesseurs – en particulier dans l’épilogue,
en forme de périple d’un jeune de la Zona hors de celle-ci pour s’occuper de la dépouille et du souvenir de Miguel. On y voit les méfaits plus insidieux, à long terme de la Zona :
géographiquement et moralement, celle-ci est pour tous ceux qui y entrent une impasse, qui telle une peau de chagrin réduit les rapports entre humains à leur plus petit discriminant : l’argent.