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- Mystères de Lisbonne, de Raoul Ruiz (France-Portugal, 2010)
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Où ?
Au ciné-cité les Halles, qui fait partie des cinémas consacrant une salle à ce film aux trois séances par jour
Quand ?
Vendredi soir
Avec qui ?
Seul
Et alors ?
4h26 : c’est le temps mis par un amateur raisonnablement entraîné pour courir le marathon, c’est un trajet Paris-Dax en TGV, c’est une moitié de saison de Friends. C’est
aussi désormais la durée de Mystères de Lisbonne, long-métrage de cinéma aux dimensions tellement hors normes qu’il sera diffusé sur Arte en avril prochain sous la
forme… d’une série télé (six épisodes de 52 minutes, avec le rajout d’une poignée de personnages et d’intrigues de second plan). Se déplacer dans une salle obscure près de chez soi pour le voir
sous sa forme cinématographique est bien plus conseillé que d’attendre avachi sur son canapé télécommande à la main, et pas seulement afin d’obtenir un t-shirt « I survived Mystères de
Lisbonne » (d’ailleurs il n’y en a pas de prévus). Mais parce qu’il est impossible qu’un format classique, proprement organisé et découpé comme celui d’une mini-série télé provoque la
même ivresse, la même perte de repères et d’équilibre qu’une expérience conçue et présentée d’un seul tenant, sans souffrir d’interruption ou de ralentissement dans son avancée.
La chose qui est certaine à propos de Mystères de Lisbonne est en effet qu’il va vite. Sans aller jusqu’à essayer de faire croire qu’il passe en un souffle, on se
surprend à voir défiler les heures de projection comme les kilomètres à bord d’une voiture de sport. L’accélérateur à l’œuvre dans le film est le plus vieux et efficace de tous : la parole. Ça
n’arrête pas de parler d’un bout à l’autre de Mystères de Lisbonne, jamais dans le vide mais dans le but le plus noble et captivant qui soit, celui de raconter des
histoires. Beaucoup d’histoires. L’axe principal du scénario – la quête de ses origines par le héros, João – n’est pas un tunnel dont il serait défendu de sortir, mais une souche sur laquelle de
multiples branches viennent se rattacher. Chaque nouveau personnage entre en scène en amenant avec lui son lot de secrets et d’histoires, qu’il se fait fort de raconter quand vient son tour. Se
tisse ainsi sous nos yeux, en continu, un réseau fractal d’intrigues dont l’un des effets secondaires – typique du feuilleton à grande échelle – est que les protagonistes ne sont jamais
complètement étrangers les uns aux autres. Il y a toujours un lien dramatique, direct ou passant par l’intermédiaire d’un personnage tiers, qui en fait des adversaires ou des compagnons
d’infortune.
Mystères de Lisbonne nous entraîne dans cet étourdissant tourbillon d’histoires, qui exploitent sans scrupule les schémas les plus familiers du genre : enfants cachés,
identités doubles, rivalités amoureuses exacerbées. La référence qui vient à l’esprit n’est pas cinématographique mais littéraire : le mastodonte Les mystères de Paris d’Eugène Sue.
La proximité des deux titres n’est pas un hasard, le film qui nous intéresse étant l’adaptation d’une variante lisboète opportuniste de la saga de Sue, à la suite du succès public de celle-ci.
Mystères de Lisbonne se distingue de l’original par son choix de ne jamais mettre son nez dans les bas-fonds de la société du 19è siècle – les prisons, les taudis, les
bandes de voleurs et de mendiants affamés qui les peuplent – qui forment une part majeure du tableau parisien. A Lisbonne, comme dans les escapades dans d’autres lieux (Venise, la France), on
s’en tient plus sagement aux salons tenus par des hôtes d’un rang certain. L’étincelle du frisson et de l’exaltation, qui viennent en supplément du plaisir de l’emboîtement sans fin des
intrigues, est produite par la mise en scène virtuose de Raoul Ruiz. Pas une des 266 minutes du film ne passe sans que le cinéaste chilien fasse en sorte d’y faire admirer son sens de l’épique,
du beau. Il magnifie chaque visage, chaque lieu, chaque action ou parole, faisant ainsi de Mystères de Lisbonne non pas un morceau d’un seul tenant et indigeste mais une
myriade de perles sélectionnées et polies avec soin, qui s’enfilent comme le long du fil d’un collier. Parmi ces perles, certaines sont même absolument renversantes, et sont à elles seules des
éclats de chef-d’œuvre : le traitement en plan-séquence entre deux pièces (la chambre et l’antichambre) de l’accouchement à Venise, l’introduction du personnage de Clothilde Hesme dans le
hall d’un opéra. Quand le générique de fin arrive, les jambes sont engourdies mais la tête est légère, enivrée par tant de plaisir et d’allant.