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Où ?
Au Max Linder, où Avatar est le premier film à être projeté en 3D
Quand ?
Jeudi en début d’après-midi
Avec qui ?
Mon frère, et une salle étonnamment pleine pour un tel jour (de semaine, hors vacances scolaires) et un tel horaire (en pleine journée)
Et alors ?
Ça y est ! Il est sorti, accessible à tous dans la plupart des cinémas. Avant même de débattre de la qualité de la chose, il convient de constater que James Cameron est l’un des rares à
savoir encore faire d’un film un événement majeur, débordant du cadre habituel du cinéma, dont le grand public est largement informé et que les cinéphiles attendent avec une véritable impatience
quelle que soit la dose massive de films qu’ils s’injectent annuellement. Depuis Titanic, du même Cameron, combien de longs-métrages ont été autant anticipés et espérés que Avatar ? La liste qui suit
est éminemment subjective (et constituée sans recherches exhaustives pour l’étayer), mais à part Matrix, Le seigneur des anneaux et Kill Bill, il n’y a eu à mon sens rien de tel au cours de la
décennie écoulée. Cameron redonne une fois de plus au cinéma son statut de phénomène de masse, d’épicentre. Hier, cela passait par les effets spéciaux (Abyss puis
Terminator 2) ou l’appropriation d’un récit dramatique fondateur du monde moderne (Titanic) ; aujourd’hui, c’est la combinaison d’une percée technologique
balbutiante – la projection en relief – et d’une (r)évolution sociologique de taille – les mondes virtuels, quels qu’ils soient – que le cinéaste embrasse pour rester en tête de proue du
mouvement.
Dans son principe, et dans sa première moitié, Avatar emprunte en effet énormément à tous ces domaines et cultures naissant et s’épanouissant dans l’immatériel. Le film fonctionne
dès lors comme un superbe agrégat, un état des lieux de l’existant magnifié par son passage au grand écran de cinéma. Cameron prolonge les expérimentations de Matrix et de ses
disciples (dernier en date, Clones) sur les différentes degrés de réalité et d’existence en prenant comme point de départ de son script l’idée qu’un humain puisse
transférer son système nerveux et son esprit à bord d’un autre corps – qui se trouve être celui d’un Na’vi, un habitant humanoïde (c’est plus commode) d’une autre planète, à la peau bleue et
faisant trois mètres de haut. Ce principe de transfert est même répercuté une seconde fois, puisque les Na’vis ont comme principal talent de pouvoir se pluger physiquement aux animaux et
aux arbres de leur forêt et ainsi interagir directement avec eux. La dite forêt est ainsi un gigantesque réseau Ethernet – l’une des plus belles idées de science-fiction depuis pas mal de temps.
Là-dessus vient se greffer l’autre thématique que Cameron s’est réappropriée avec brio, celle du jeu vidéo. Une fois projeté dans son corps de Na’vi, le héros humain Jake Sully doit en effet
apprendre à maîtriser les différentes aptitudes de ce peuple ; exactement comme un joueur débutant un nouveau jeu vidéo doit en assimiler les commandes, des plus basiques (courir, sauter)
aux plus complexes (« piloter » un oiseau de proie).
Cameron exprime à la perfection tout ce que cette phase de tutorial peut
avoir de grisant et de émancipateur ; et en cela, il met Avatar en bonne place dans la très courte liste (Matrix bien sûr, Avalon de Mamoru
Oshii pour les RPG, Speed racer pour les jeux de
course) des films adoptant avec succès des codes inhérents au jeu vidéo. Avatar reproduit une partie du fonctionnement d’un monde persistant, ou du début d’un jeu d’aventure au
long cours à la Zelda, lorsque les épreuves et quêtes à réussir n’ont pas encore d’intérêt autre que celui de leur accomplissement. Cela génère un sentiment mixte de toute-puissance et d’absence
de contrainte, que Cameron ne grève nullement par l’application d’un scénario « tunnel » aliénant dont il serait impossible de s’écarter. Il obtient en échange une atmosphère
d’émerveillement innocent qui n’existe que dans les meilleurs, les plus purs blockbusters de divertissement – les ouvertures de Star wars, Jurassic Park,
Le seigneur des anneaux… Dans cet état de grâce antérieur à l’introduction d’un récit quel qu’il soit, les différentes expérimentations techniques du réalisateur trouvent le
terrain d’expression le plus favorable qui soit. La motion capture a rarement paru plus fluide, les images de synthèse plus enchanteresses, la 3D plus naturelle que sur la planète
Pandora où vivent les Na’vis. Le niveau de détail et la variété de l’écosystème imaginé pour l’occasion sont à tomber par terre ; et au moins deux scènes d’action – la course-poursuite avec
le fauve jusqu’à une monstrueuse chute d’eau, le dressage de l’oiseau au sommet d’un piton rocheux – apportent la preuve brillante qu’un film projeté en relief est un support tout aussi adapté à
de tels morceaux de bravoure qu’un long-métrage classique (« antique », dirait sûrement Cameron).
Ces dons technologiques additionnels qui réaffirment alors la primauté du cinéma sur le jeu vidéo sont à double tranchant. Car dès lors que Cameron enclenche le démarrage de son intrigue, et
qu’il s’avère que celle-ci est et restera décevante, images de synthèse et visions en relief perdent leur charme et leur pouvoir électrisant. L’effet de la gueule de bois s’en trouve décuplé,
lorsque l’on redécouvre une fois de plus que la technologie n’a jamais pu et ne pourra jamais changer en or un scénario de plomb. Sur un nuage créatif tant qu’il peut se concentrer exclusivement
sur la création et l’illustration d’un nouveau monde, Cameron se piège lui-même dans un carcan de western ultra-classique (grosso modo, c’est la même histoire que dans Danse avec les
loups) qui réduit au minimum son temps de cerveau disponible pour l’aspect formel – même si l’on note un léger regain sur la toute fin.
Avec cette histoire d’humains cupides et surarmés qui viennent tout saccager, Cameron réutilise des idées qu’il avait déjà eu dans Aliens (la force militaire mécanique contre son
pendant organique) et Abyss (la problématique écologique agitée sous le nez des humains par des extraterrestres). Cela passerait si ce recyclage n’était pas globalement bâclé,
puisqu’enjeux et personnages y restent à l’état d’esquisses rudimentaires, et surtout s’il ne s’effectuait pas sous une forme low cost. Le script d’Avatar combine en
effet poncifs hollywoodiens ayant largement dépassé leur limite de péremption – le moment Braveheart de communion d’un groupe, le deus ex machina qui vient faire basculer
une bataille mal engagée… – et manichéisme binaire. Drapé dans une insupportable supériorité morale, Avatar déclare en substance que quiconque n’est pas un écologiste indéfectible
et pratiquant est forcément un mécréant hérétique, qui ne mérite que de mourir ou de retourner demeurer dans son taudis invivable. Même les tree huggers les plus convaincus d’entre nous
auront du mal à ne pas tiquer face à la brutalité avec laquelle est asséné le message… Cameron n’aurait en réalité pas pu trouver meilleur moyen de gâcher un principe de scénario réellement
subversif et novateur (inverser la répartition classique des rôles entre humains – réels – gentils et aliens – virtuels – méchants) qu’en l’enveloppant de la sorte dans un récit rendu à ce point
laborieux et agaçant. [En aparté, signalons que le colonel d’Avatar remporte haut la main le titre de méchant le plus tête à claques depuis son
homologue militaire à l’œuvre dans X-Men 2].
Le point le plus gênant dans cette seconde partie en pilotage automatique, aussi morte que la première moitié était vivante, tient à la régression notable du propos du cinéaste par rapport à
Abyss. Dans ce dernier, le camp du bien triomphait de façon pacifique, par l’instauration d’une confiance réciproque et d’une foi en un idéal commun. Ses homologues
d’Avatar l’emportent pour la seule et unique raison qu’ils ont une force de frappe supérieure à leurs opposants, et peuvent donc les hacher menu. Cameron met là en application un
autre élément notable de ce début de millénaire – la doctrine de la pseudo guerre juste –, mais celui-ci est beaucoup moins plaisant et tolérable. Epoustouflant de liberté et de virtuosité
pendant plus d’une heure, répondant ainsi à toutes les attentes placées en lui, Avatar finit donc par être l’un des moins bons films de son auteur (aux côtés de Terminator
2, au simplisme psychologique tout aussi irritant). La mission n’est que partiellement réussie. Ne reste plus qu’à espérer que comme Robert Zemeckis avant lui, qui a su passer de
Beowulf à Scrooge, Cameron concrétise pleinement sa maîtrise d’une technologie nouvelle au deuxième essai (et que celui-ci vienne assez vite, svp).