• Les tueurs, de Robert Siodmak (USA, 1946)

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Où ?
En DVD (le superbe zone 2 édité par Carlotta), à la maison
 
Quand ?

Fin juillet, juste avant les vacances
 
Avec qui ?
 

Ma copine, et mon compère de cinémathèque, dont le domaine de compétence s’étend aux classiques hollywoodiens vus en toutes circonstances 

Et alors ? 

Ce film noir de 1946 est l’œuvre de l’un des moins connus des immigrés allemands de cette époque, Robert Siodmak. Dans ce qui est l’une de ses réussites majeures, ce dernier est complètement
étouffé par les noms prestigieux des autres participants : difficile de se faire une place entre une nouvelle originale de Hemingway et les premiers rôles importants des futurs monstres sacrés
Burt Lancaster et Ava Gardner. Les excellents bonus de cette édition (détaillés plus bas) remettent heureusement Siodmak sur le devant de la scène en rendant à son travail de metteur en scène
l’importance qu’il mérite.

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Le film marche dans les traces d’Assurance sur la mort de Billy Wilder (qui bénéficie lui aussi d’une édition remarquable chez Carlotta), avec une histoire en forme de
fait divers et impliquant des individus eux-mêmes banals. Le vol à main armée de la paye d’une usine, suivi de trahisons au sein de la bande de malfrats avec pour motivation principale le cœur de
LA femme (Ava Gardner) est somme toute une représentation de la triste réalité du monde et des défauts humains… et son manque d’envergure est amplifié par l’instant choisi pour démarrer le
film : l’exécution du traître (Burt Lancaster), ce qui a pour effet de clore le récit avant même de l’avoir démarré.

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Si Les tueurs n’a pas l’abstraction cynique des plus grands du genre (le personnage central est ainsi le « gentil » agent d’assurances bien sous tous rapports
qui mène a posteriori l’enquête), il se démarque grâce à ce récit fragmenté en flash-backs qui lui donne un supplément de suspense (on est constamment en retard sur les personnages, et maintenu
en haleine quant à ce qui va suivre) et lui ouvre 2 grands axes de libertés. 

1) chaque séquence dans le passé devient un mini film indépendant du reste, ce qui permet une permanente réinvention thématique (combat de boxe, trafic mafieux, braquage…) et formelle. La
mouvance expressionniste, avec ses décors rendus irréels par l’éclairage et sa mise en scène très voyante (en particulier un incroyable plan-séquence à la grue pour capter le braquage qui est au
cœur de l’intrigue) trouve en effet dans ce découpage très marqué un terrain idéal pour s’exprimer ; 

2) cette réinvention touche également les protagonistes, créatures protéiformes qui balayent toute la gamme des archétypes au fil des saynètes. Lancaster passe du loser social à l’homme de main
obéissant aveuglément et au doubleur de complices ; Gardner joue sur l’ensemble de la panoplie des femmes fatales (fausse ingénue, allumeuse, mante manipulatrice), ce qui la rend encore plus
dangereuse, séductrice et insaisissable. Il n’est pas étonnant que tous deux aient vu les projecteurs se braquer sur eux suite à ces rôles en or massif.

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Les suppléments, regroupés sur un second disque, sont excellents. Telle une enquête, ils permettent de suivre tout le cheminement de la production du film. On a ainsi à notre disposition deux
pièces à conviction de choix, la première n’étant rien de moins que le texte de la nouvelle d’Hemingway. Celle-ci correspond presque exactement à la première séquence du film ; toute la
suite, et donc l’intrigue brodée autour du meurtre du personnage de Lancaster, est une invention. L’autre pièce enregistrée dans le dossier est le court-métrage qu’Andrei Tarkovski a adapté
fidèlement de la nouvelle (capture ci-dessous), qui constitue une aide précieuse pour montrer par contraste ce qui a été occulté chez Siodmak. De riches dépositions viennent aider à reconstituer
la suite du puzzle : le commentaire de la nouvelle par une spécialiste, qui détaille avec autant de clarté les rapports d’Hemingway avec Hollywood que l’intérêt que pouvait revêtir sa
nouvelle pour le film noir. Elle s’attarde également sur l’autocensure appliquée par les scénaristes et sur les libertés qu’ils ont prises. Enfin, des modules exhaustifs sur Siodmak et sur le
compositeur Miklos Rosza aident à décrypter l’univers visuel et sonore (les 2 étant très cohérents) des Tueurs, décalque fidèle et abouti des préceptes de
l’expressionnisme allemand. Grâce à toutes ces contributions, le résultat de l’enquête est sans appel : si Le faucon maltais et Assurance sur la
mort
ont posé les bases thématiques du film noir, Les tueurs a grandement participé à en faire de même pour l’aspect esthétique du genre.

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