• La maison du diable, de Robert Wise (USA, 1963)

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A la maison, en K7 vidéo transférée sur DVD

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Lundi soir

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La maison du diable (The haunting, en VO ; à ne pas confondre avec l’exécrable remake commis par Jan de Bont en 1999) est un des films consacrés à la peur
les plus impressionnants qui soient. Ce qui n’est pas tout à fait la même chose que d’être un film générant une peur intense – même si La maison du diable est aussi une
belle réussite sur ce point. Le particulièrement éclectique Robert Wise (film précédent : West Side story, film suivant : La mélodie du
bonheur
, autre grand succès : le film noir Nous avons gagné ce soir, premier job d’importance : monteur de Citizen
Kane
, etc.) démontre de bout en bout une maîtrise évidente des leviers mis à la disposition de tout cinéaste s’essayant au genre horrifique. Bruits inquiétants car indéfinissables,
surgissement subliminaux, gros plans sur les visages paniqués des personnages sans les contrechamps qui complèteraient la scène… La maison du diable tisse lentement mais
sûrement sa toile de frayeur, jusqu’à ce qu’elle envahisse tout l’espace du film et de nos sensations face à lui.

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Deux de ses fils laissent une marque durable en nous : l’architecture de la maison hantée qui accueille le film, et qui fait de celle-ci un modèle insurpassable de manoir gothique effrayant
– de par l’immensité de ses dimensions, la majesté écrasante de ses éléments (un escalier ici, une sculpture là), la profondeur de ses couloirs et la hauteur de ses pièces (dont une inoubliable
bibliothèque, toute en verticalité). C’est le château du jeu Resident Evil, référence tous media confondus des deux dernières décennies, mais trente-cinq ans plus tôt. La profusion
permanente de détails a également un impact considérable, car elle rend chaque endroit oppressant et sature ainsi notre regard à tel point qu’on finit par ne plus rien voir de spécifique.
Notre audition est elle aussi saturée, tourmentée tant le travail sur le son est extrême. La bande-son de La maison du diable est une des plus angoissantes qui aient été
élaborées. Elle s’attaque à nous à un niveau tellement viscéral qu’il est difficile de la réduire à des qualificatifs quels qu’ils soient.

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Aucun de ces effets n’a la facilité de l’éphémère ; tous sont pensés pour agir sur la durée. Il n’est pas questions d’une poignée de vagues de peur qui nous attaqueraient puis se
retireraient, mais d’une inexorable marée montante. Le film nous abandonne d’ailleurs la tête sous l’eau, démunis, sans moyen de savoir si oui ou non le flux de terreur a atteint son point le
plus haut, et si le reflux vers une situation plus clémente va suivre. C’est que la construction habile du scénario, en abyme, fait de nous des sujets de l’expérience menée par le Docteur
Markway, au même titre que les trois autres personnages qu’il a amenés avec lui dans une maison qu’il pense hantée. Le quatrième cobaye, le spectateur, est mis au courant de la situation par le
biais d’un prologue diabolique qui relate les « faits d’armes » de la demeure depuis son édification, images à l’appui – ou plutôt fragments d’images car nous ne voyons explicitement
aucun acte criminel, aucune manifestation d’une présence malveillante. Seulement des décors anxiogènes, des angles de vue dérangeants, et au centre de tout cela de macabres visions de cadavres.

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Les conventions du film sont dès lors posées : les faits nous sont exposés dans l’exactitude de leur perception (ce qui est vu, ce qui est entendu, ce qui est rapporté par les personnages),
mais sans assistance de la part du film dans la constitution d’un récit qui relierait ces faits entre eux ou les expliquerait, par exemple par un changement de point de vue ou par la découverte
d’un témoignage révélateur. La maison du diable se place au-dessus de ses personnages mais il ne nous élève pas avec lui, il nous maintient à leur niveau. Il en sera de
même jusqu’au bout, les mystères s’accumulant sans réponse. Inscriptions sur les murs, courants d’air glacial venant de nulle part, portes qui se déforment… On en vient soi-même, de l’autre côté
de l’écran, à douter de sa vision : cette statue, n’a-t-elle pas bougé entre le début et la fin de la scène ?

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Le but de l’expérience de Markway est de confirmer ou infirmer son hypothèse de la présence d’un esprit dans la maison. Une mort tragique plus tard la question reste indécidable, seule la
peur des participants ayant progressé mais en aucun cas leur compréhension cartésienne des événements. La très adroite scène finale, en donnant à chacun l’occasion d’apporter sa propre conclusion
à l’affaire, ne prouve en fin de compte que le surplace effectué par chacun. Leurs opinions contradictoires sont les mêmes qu’au départ, sans l’ombre d’une preuve pour appuyer l’une ou l’autre.
Comme eux, nous sommes alors renvoyés à l’abîme de notre incertitude face au paranormal, aux fantômes – et c’est certainement cela qui fait le plus peur dans le film, le mystère de l’origine de
nos peurs profondes. Car La maison du diable a eu la perversité de ne pas se présenter comme une classique histoire de possession maléfique. Il a pris acte de notre
connaissance du genre et de ses fondements et à partir de là, au lieu de se vautrer dans l’ironie et le clin d’œil (solution de facilité empruntée par la vague de clones
post-Scream au tournant du siècle), a joué de plus belle avec nous en nous faisant miroiter la possibilité d’une solution, de LA solution. L’opacité totale de la
conclusion, et l’incertitude quant au destin de ceux qui sont encore vivants (a-t-on la moindre preuve qu’ils vont s’en sortir ?) sont alors le plus féroce des pieds de nez.

Parce que la peur est impénétrable.

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