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- La forme sans suffisamment de fond : Homme au bain, de Christophe Honoré et Simon Werner a disparu…, de Fabrice Gobert (France, 2010)
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Où ?
Respectivement au MK2 Beaubourg et au ciné-cité les Halles
Quand ?
Le week-end dernier
Avec qui ?
Seul
Et alors ?
L’un (Honoré) en est déjà à son septième long-métrage, l’autre (Gobert) seulement à son premier, mais tous les deux démontrent une même volonté appréciable de s’aventurer à l’écart de la tendance
chronique à l’anonymat – pour ne pas dire la banalité – de la mise en scène, à l’œuvre dans le cinéma français. Le souci, commun lui aussi aux deux cinéastes, est qu’il aurait fallu un scénario
et des personnages autrement plus denses que ceux d’Homme au bain et de Simon Werner a disparu… pour faire de ces deux films plus que des
exercices de style ; certes stimulants et singuliers sur le moment, mais qui ont du mal à rester dans les mémoires après coup.
L’attraction de Christophe Honoré pour des formes cinématographiques différentes n’est pas nouvelle. La part musicale plus ou moins importante de Dans Paris, Les chansons d’amour et La belle personne en était une première forme d’expression. L’interlude rêvé plaqué au milieu de Non ma fille, tu n’iras pas danser en était une
deuxième, nouvelle et encore plus radicale, mais toujours englobée dans un récit classique plus important. Homme au bain est le premier film dans lequel Honoré s’essaye
à inverser le rapport de force, l’histoire narrée étant cette fois une résultante du travail mené sur la forme. Cette rupture s’accompagne d’une autre, peut-être liée : Homme au
bain est aussi son premier long-métrage homosexuel, c’est-à-dire à son image puisque les précédents étaient soit hétéros, soit bi. Au début, il y a deux hommes, Omar et Emmanuel. Le
premier est l’œil qui observe (il est cinéaste), le second est le modèle observé – le corps parfaitement sculpté que l’acteur venu du cinéma X François Sagat prête au personnage est figé, dans la
plupart des scènes où il apparaît, dans ce rôle de statue que l’on admire tout en restant à distance.
Omar quitte Emmanuel, et sur cette base le film pourrait alors interroger le devenir respectif, en solitaire, de l’œil et du modèle – et si un tel devenir est possible en dehors de la relation
particulière que les lie. Il s’engage dans cette voie en dissociant par leur format les séquences qui suivent l’un et l’autre des personnages : 35mm et écran large pour Emmanuel à
Gennevilliers, numérique et 4/3 étriqué pour Omar à New York. La quasi absence de dialogues, et la grande simplicité des rares échanges entre les personnages, intensifient l’impression que
véhicule le film d’être la juxtaposition de deux instantanés subjectifs. Le problème est qu’Honoré en reste là. Son collage n’est rien de plus que sa représentation visuelle à l’écran, en deux
dimensions, sans profondeur supplémentaire à offrir. Ni politique, dans le geste de faire un tel film (ce qui était la finalité des œuvres de Godard
dans ce même genre), ni psychologique, en employant le dispositif pour sonder l’âme des personnages. À l’opposé de Soderbergh, qui utilisait l’étiquette pornographique de Sasha Grey comme un
outil parmi d’autres au service des thèmes de The girlfriend experience, Honoré se fait
éclipser par son interprète. La simple présence physique de Sagat, son aura étouffent toute autre intention que le film aurait pu exprimer. Le modèle a muselé la capacité de l’œil à penser, à
voir au-delà.
Simon Werner a disparu… évolue sur des terres plus classiques. Le réalisateur Fabrice Gobert, qui a travaillé à la télévision sur plusieurs séries pour ados, a choisi
avec ce long-métrage de pervertir ce modèle en l’assaillant sur deux fronts. Il insuffle au fondement du scénario une dose de mystère lynchien (sous le vernis poli de la banlieue pavillonnaire et
de son lycée sans histoire, des disparitions en série et un cadavre dans les bois) ; et sur la forme, il disloque la linéarité paisible de la vie des personnages par un récit-puzzle, qui suit
l’un après l’autre quatre des élèves du lycée sur la même période de temps. La filiation avec Elephant qui a été avancée dans plusieurs critiques me paraît abusée : les scènes vues depuis plusieurs points de vue et les
quelques travellings suivant des adolescents marchant et vus de dos (plan qui est devenu la signature visuelle du film de Gus Van Sant) sont des éléments de détail, qui ne suppléent en rien le
grand écart entre les deux films quant à leur traitement de leurs protagonistes respectifs.
Ceux de Elephant, comme de la plupart des films d’ados américains sérieux (Virgin suicides est un autre exemple), sont des individus complets,
et complexes. Dans Simon Werner a disparu… on a affaire à des lycéens, qui n’ont aucune existence – psychologique ou physique – en dehors de l’enceinte de l’école. On
peut arguer que c’est possiblement une volonté du réalisateur, et que la vacuité de ces personnages motive leur besoin de s’inventer une multitude de mystères, de suspicions et d’intrigues
scandaleuses (autant de choses dont l’on apprendra au final qu’elles reposent essentiellement sur du vent) sur la base de la disparition exposée dans le titre. Mais cette misanthropie consistant
à exposer des ados ordinaires qui se fantasment dans Blue
velvet ou Twin Peaks reste une hypothèse, tandis
que la banalité des situations et des dialogues de leur quotidien est une réalité concrète à l’écran. Dans ses pires instants, Simon Werner a disparu… flirte même
dangereusement avec le niveau d’Hélène et les garçons ; tous les comédiens n’ont en effet pas la capacité d’un Jules Pélissier, Ana Girardot, et en fin de parcours
Laurent Delbecque qui joue Simon Werner, à faire exister leurs personnages contre vents et marées.
Ces mauvais moments sont heureusement rares, car le scénario alambiqué du film leur laisse peu d’espace pour s’étendre. Gobert croit fermement à l’univers clos qu’il a imaginé, et au tour de
passe-passe énigmatique dont il tire les ficelles au sein de celui-ci. Par conséquent, son film avance avec une conviction constante, et il parvient dès lors à nous entraîner avec lui. Il n’est
dans l’ensemble pas déplaisant, et sait même se montrer soudainement intrigant : par l’écho d’un bruit de béquilles dans les couloirs vides du lycée, ou l’apparition soudaine d’une cabane au
milieu de la forêt. On est séduit le temps que dure le spectacle, mais en sortant la seule chose que l’on retient est que l’on aurait apprécié que cette belle mécanique ait un sens ; qu’elle
ne se résume pas à une coquille vide.