• Lady Jane, de Robert Guédiguian (France, 2008)

Je like cet article sur les réseaux sociaux de l'internet!

Où ?
Au cinéma des cinéastes, dans une des 2 petites salles

Quand ?
Lundi soir

Avec qui ?
Ma femme, et mon compère de films de festivals (avec qui je suis allé voir, pour la 1ère fois en 2008, un film que je n’avais pas déjà vu)

Et alors ?

Le polar comme nouvel horizon du cinéma français en cette année 2008, j’y reviens de nouveau après cet article-ci
et celui-là. S’il est encore trop tôt pour dire si on a affaire là à un signe fort de l’émergence d’une vision
plus sombre de notre société contemporaine, ou bien à un simple phénomène éphémère, il n’est en tout cas pas trop tard pour aller profiter de ce regain d’intérêt pour le genre policier dans
toutes ses variétés. « Profiter » n’est peut-être pas le terme adéquat, tant ces longs-métrages n’ont rien d’autre à offrir qu’une noirceur profonde et un engrenage inexorable
d’événements tragiques.

Par rapport à Lady Jane, Les liens du sang et Le nouveau protocole paraîtraient presque positifs : leurs héros sont malmenés, violentés, mais
ils restent des héros. Les personnages du film de Robert Guédiguian font l’effet de membres d’une meute de loups qui au mieux se supportent, au pire s’entretuent. Muriel, François et René, un
trio de braqueurs (joué par les habitués du réalisateur, comme toujours excellents tout en se réinventant : Ariane Ascaride, Jean-Pierre Darroussin et Gérard Meylan) séparé il y a 20 ans sur
un dernier casse qui tourna au meurtre, se reforme lorsque le fils de Muriel est enlevé contre une demande de rançon. L’intrigue de thriller qui en découle, construite autour de la
tagline du film « La vengeance appelle la vengeance », suit un cheminement erratique entre coups d’accélérateur violents, séquences de pur suspense que n’aurait pas renié
Hitchcock (le rendez-vous fixé par le kidnappeur à la gare Saint Charles), et arrêts presque complets.

Ces derniers sont dus au fait qu’aux yeux des personnages, le présent et ses drames aussi durs soient-ils – disparition d’un fils, implosion d’un mariage – ne sont que de vagues reflets de
l’excitation et de la fougue qu’ils ont ressenties plus jeunes. Mais cette existence passée n’existe plus, et semble même n’avoir jamais existé : ainsi, en reflet terrible du joyeux
flashback d’ouverture où le trio distribue des visons volés aux habitants de leur quartier, une scène tétanisante les montre revenir au même endroit 20 ans plus tard, pour n’y trouver qu’une
amnésie générale quant à leurs exploits d’antan. Muriel, François et René sont piégés dans un passé qui n’intéresse plus qu’eux (et encore, individuellement seulement : chacun d’entre eux en
garde un souvenir spécifique que les autres ont oublié) ; en même temps qu’ils se sentent peu concernés par un présent trop petit pour eux, entre autres parce que l’argent y est si facile à
récupérer qu’il en perd tout intérêt, toute valeur.

La caméra de Guédiguian leur colle aux basques, sans leur laisser aucune intimité pour ces moments en creux où le doute s’installe comme une gangrène, et plonge les personnages et le film dans un
état de stupeur. Il en résulte des plans d’une crudité peu commune dans le cinéma français, où des actes (meurtres, vols) et des aveux (désamour familial, brutalité assumée) immoraux sont captés
frontalement. Et peu à peu, il devient clair que Lady Jane est justement un film sur cette stupeur généralisée, anesthésiante, qui fait penser à No country for old men -
le livre de McCarthy plus que son adaptation par les frères Coen car Guédiguian en épouse la thématique désespérée.

 

Au final, le seul héritage laissé au monde par la génération de Muriel, François et René est une inflexion de la société vers un froid matérialisme (Lady Jane est très au fait des
avancées technologiques : nouvelles voitures, nouveaux baladeurs P3, nouveaux portables…) et un recours systématique à la brutalité dans les rapports humains. Eux voudraient fermer les
yeux sur cela, et se replonger indéfiniment dans leurs souvenirs de jeunesse, quand les choses avaient un sens. Mais Guédiguian ne l’entend pas de cette oreille. Dans la tradition des grands
films noirs, il transforme son fait divers criminel de départ en un regard plus global sur le monde. Il s’attarde pour cela sur les conséquences des comportements « des vieux » sur les
générations plus jeunes (un fils en quête de vengeance, une bande de dealers sans merci), où les mêmes fissures, le même processus de décomposition sont à l’œuvre selon un cycle qui semble ne
plus devoir connaître de fin. La scène cathartique finale, censée boucler la boucle des différentes intrigues, ne résout ainsi rien. Tous les personnages restent bloqués dans un double statut de
coupables et de victimes, un purgatoire sans issue ni vers le paradis ni vers l’enfer. « No country for anyone ».

Les commentaires sont fermés.