• It’s a free world, de Ken Loach (Angleterre, 2007)

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Où ?
Au cinéma des cinéastes, dans la grande salle (pleine, comme pour la séance suivante : le nouveau Ken Loach, sorti un mercredi dénué d’opposition, semble faire recette)

 


Quand ?

 

Samedi, pour ma première séance de l’année

 


Avec qui ?

Ma femme, fan absolue du réalisateur depuis Sweet sixteen et plus encore Just a kiss

 


Et alors ?

 

Depuis 2 films, Ken Loach doute. L’éternel défenseur des opprimés contre les oppresseurs avait pour la 1ère fois complexifié son discours dans le magistral Le vent se
lève
(Palme d’Or à Cannes en 2006), en éliminant rapidement du tableau les oppresseurs – l’armée d’occupation anglaise – pour ne conserver que de terribles luttes fratricides entre
opprimés irlandais. It’s a free world décalque ce point de vue nuancé à notre société occidentale globalisée du 21è siècle – et échoue en partie à résoudre les problèmes
posés par une telle transposition.

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Loach et son scénariste Paul Laverty (récompensé au dernier festival de Venise) jouent sur les 2 sens du terme free : sa valeur morale, celle de la liberté au sens des droits de
l’homme, et sa valeur marchande, qui s’applique de plus en plus aux êtres humains sans que cela ne choque. Pour cause, dans It’s a free world les individus ainsi évalués
ont tellement pris le pli qu’ils se définissent dorénavant eux-mêmes en termes financiers : leur coût salarial, leurs dettes, les pots de vin qu’ils peuvent fournir. Ainsi conditionnés, les
opprimés d’hier peuvent à leur tour jouer le rôle d’oppresseur, comme le fait l’héroïne du film, Angie, virée d’un boulot minable dans une agence de recrutement de main d’œuvre d’Europe de l’Est,
criblée de dettes, qui décide de monter son propre cabinet afin de se faire de l’argent sur le dos de plus malheureux qu’elle.

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En plaçant sa caméra dans le sillage d’un tel personnage amoral (capable de loger chez elle des sans-papiers puis, quelques jours plus tard, de les dénoncer car ils gênent le bon développement de
son entreprise), Ken Loach prend acte de la dilution des repères, d’un monde expurgé de ses bons et de ses méchants, 2 camps remplacés par une somme d’ego utilisant la « liberté » comme
justification à leurs attitudes individualistes et variant au gré des circonstances. Mais en chemin, le réalisateur perd de son intransigeance et de sa capacité à prendre fermement parti. Il
hésite clairement quant au point de vue à adopter sur Angie, qu’il ne peut décemment défendre mais dont il ne parvient pas non plus à condamner avec vigueur les actes déplorables. Ce tiraillement
s’étend à l’ensemble du film, qui s’en trouve dénué d’une progression dramatique claire et de personnages solides – les seconds rôles n’ont d’autre existence que purement mécanique, en réponse ou
en déclencheur d’agissements d’Angie. Quant aux oppresseurs, les méchants véritables, ils sont absents du récit, ce qui est cohérent de la réalité mais est également une embûche pour le
film : leur présence physique est remplacée par des discours dénonciateurs ampoulés et impuissants.

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On a en définitive le sentiment que pour avoir voulu attaquer le libéralisme de manière plus pondérée que dans ses œuvres passées, Ken Loach s’est fait contrer par la formidable force de
cannibalisation de cette idéologie, capable de désamorcer toute attaque qui ne soit pas excessive et frontale. En refusant de se radicaliser au point de dénoncer la « traîtresse »
Angie, il tombe dans le même piège que les socialistes actuels des différents pays développés : celui d’un discours flou, inaudible, et droitisé à leur insu.

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