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- Deux crus cannois : Gomorra de Matteo Garrone, et Hunger de Steve McQueen
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Où ?
Au ciné-cité les Halles pour Gomorra et au MK2 Bibliothèque (dans le cadre de Paris Cinéma) pour Hunger
Quand ?
Jeudi et vendredi soir, en « très » avant-première dans les 2 cas puisque les 2 films sortent respectivement les 13 août et 19 novembre prochains
Avec qui ?
Mon compère de films de festivals pour Gomorra et seul (heureusement) pour Hunger
Et alors ?
Le Festival de Cannes, c’était il y a déjà 2 mois ; et avec
l’été et son déferlement de blockbusters, les films primés ou juste sélectionnés arriveront pour la plupart en salles dans encore 2 autres bons mois au moins, Gomorra
étant une semi-exception avec sa sortie mi-août. Mais au hasard des initiatives isolées – l’avant-première de ce dernier film aux Halles – ou plus générales (le Festival Paris Cinéma qui vient de
s’achever), il est déjà possible de découvrir des œuvres qui ont marqué les différents jurys. Gomorra a remporté le Grand Prix, la plus haute distinction derrière la Palme
d’Or ; Hunger est lui reparti avec la Caméra d’Or, qui récompense le meilleur 1er film toutes sélections confondues.
Ce dernier est pour moi source d’une immense déception doublée d’une incompréhension tout aussi forte, au vu de la pluie d’éloges que son passage cannois a générée. Je n’y ai vu qu’une film
terriblement creux, sans âme, et très problématique dans ses choix de représentation de la violence. Le sujet de Hunger est la situation inhumaine vécue au début des années 80 par
les combattants de l’IRA détenus dans les prisons anglaises, et les actions qu’ils ont entreprises pour lutter contre cela : grève des couvertures (refus de porter l’uniforme des
détenus ; ils restent donc nus, couverts d’une simple couverture) et de l’hygiène (refus de se laver), puis grève de la faim d’un des leurs suite à l’échec de la 1ère forme de manifestation.
Chacune de ces 2 grèves correspond à une moitié du film. La première est intéressante historiquement – ce qu’ont pu subir ces hommes n’est assurément pas éloigné de ce qui se déroule aujourd’hui
encore dans d’autres zones de non-droit telles que les centres de rétention des immigrés clandestins en Europe – mais ses autres qualités sont annulées par la passion immodérée du réalisateur
pour la performance artistique qu’il est en train de mettre sur pied.
L’extrême austérité du film (le strict minimum de dialogues et de musique), ses cadrages et mouvements de caméra arrangés au millimètre, sa lumière travaillée avec soin, tout cela n’est fait dans
aucun autre but que de prouver le talent de leur auteur. La meilleure – la pire ? – preuve en est le long plan-séquence qui accompagne une opération brutale des CRS locaux pour amener de
force les prisonniers sous la douche. Au bout de plusieurs minutes de tabassages chorégraphiés de manière très théâtrale et filmés par une caméra se mouvant avec virtuosité dans les couloirs de
la prison, la scène perd tout son sens pour devenir un simple morceau de bravoure formelle dénué de raison d’être, de vie.
La partie consacrée à la grève de la faim de Bobby Sands suit malheureusement le même chemin. Steve McQueen y réussit le « tour de force » de montrer un personnage mettant plus de temps
à débattre de son action sans issue (une interminable discussion avec le prêtre de la prison, où Bobby est décrit comme un individu tragiquement unidimensionnel, sur le mode « quand je
faisais du cross dans ma jeunesse, je n’abandonnais jamais ; pour ma grève de la faim, je n’abandonnerai pas plus ») qu’à en mourir. Car oui, au final, Bobby Sands meurt de sa grève de
la faim, sans avoir réussi à infléchir la position de Thatcher sur le statut des combattants de l’IRA faits prisonniers. Mais à force de s’attarder, jusqu’à la nausée, sur les conséquences
physiques du martyre de Bobby – son ventre qui se creuse, ses yeux qui perdent toute étincelle, les escarres sur son dos –, en bref à s’attarder une nouvelle fois sur une performance, celle de
son acteur, McQueen délaisse complètement tout le reste, qui est pourtant le principal. A savoir les aspects philosophiques et politiques d’un tel geste, où se posent les questions Peut-on se
laisser mourir de la sorte ? Jusqu’où l’individu humain est-il plus important qu’une cause (ou inversement) ? A force de ne s’intéresser qu’à l’enveloppe – de chair, de mise en scène –
des choses, Hunger ne fait qu’observer sans pudeur un homme mourir et n’en tire rien.
La veille, Gomorra m’avait laissé sur une bien meilleure impression. Tiré d’un roman-enquête fleuve sur la Camorra, la mafia napolitaine, le film a gardé du livre une tonalité
particulièrement objective : on y voit purement et simplement des gens faire leur travail, sans que le contexte mafieux n’apporte à celui-ci une quelconque aura violente ou excitante. Les
différentes histoires en parallèle qui composent Gomorra suivent ainsi un gamin livrant les courses de la semaine aux familles des membres de l’organisation ; un homme
d’affaires qui récupère des contrats de retraitement de déchets toxiques ; un coursier chargé de la paye ; un couturier gérant des ateliers textiles clandestins…
Comme dans n’importe quelle multinationale, les différents services ne se parlent pas entre eux, et les véritables têtes pensantes restent hors de vue des employés de la base.
Gomorra est donc un film politique engagé – les thèmes évoqués par le biais des diverses activités illicites sont on ne peut plus d’actualité, en Europe tout autant qu’en Italie –
et empli d’une grande rage, mais le réalisateur Matteo Garrone parvient de fort belle manière à canaliser celle-ci en empruntant la voie du mépris. La Camorra et ses membres ne bénéficient à ses
yeux d’aucun traitement de faveur, d’aucune circonstance atténuante : il se contente de les observer froidement, de haut, avec une totale indifférence. Ils ne méritent pour lui ni l’ivresse
du succès, ni le tragique de la chute, car ce ne sont que des larbins sans cervelle ni culture qui obéissent aveuglément à des forces anonymes et invisibles. La 1ère de ses forces, je l’ai dit,
ce sont les patrons invisibles ; les deux autres sont un système féodal d’un autre âge, qui ne se maintient en ordre qu’en tuant dans l’œuf toute émancipation personnelle (les personnages du
film qui finissent morts ou bannis ne le sont pas par les flics, mais par la Camorra elle-même), et le pouvoir infini de l’argent. A plusieurs reprises, Garrone pointe du doigt que l’organisation
n’a rien d’autre à faire qu’attendre pour récupérer de nouveaux membres prêts à obéir au doigt et à l’œil : attendre que le besoin ou l’envie d’argent soit trop fort pour qu’ils se
contentent de ce qu’ils ont en menant une existence légale.
Sur le fond, Gomorra est d’une moralité à toute épreuve, qui ne s’accommode pas toujours très bien avec les exigences concrètes d’un long-métrage (la clarté des ramifications du
récit n’est pas toujours garantie) mais impressionne durablement et est sûrement pour beaucoup dans le Grand Prix obtenu à Cannes. Sur la forme, Garrone sait mettre en place suffisamment de
bonnes idées de cinéma pour faire de son film plus qu’un simple pensum à charge. En particulier, il trouve les moyens d’exprimer visuellement le concept selon lequel la Camorra est un univers
parallèle au notre. Les personnages ne frayent jamais avec la population « normale », les gens comme vous et moi, et même leur environnement matériel est une version biaisée, irréelle
de celui dans lequel nous vivons. Des immeubles (incroyable trouvaille que cet ensemble à l’architecture futuriste et en même temps délabré) aux plages, de la campagne aux routes, tout ressemble
et rien ne correspond complètement. La juxtaposition des 2 mondes apparaît brillamment dans un plan : après avoir survécu à une embuscade entre 2 factions rivales, le coursier sort de la
maison où a eu lieu la fusillade, emprunte un chemin de terre en pente, et arrive sur la rocade à 4 voies en surplomb remplie de voitures, de « nos » voitures. Le tout sous le regard
d’une caméra montée sur grue, qui a suivi ce passage d’un monde à l’autre sans une coupe.