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- Copie conforme, de Abbas Kiarostami (France-Italie-Iran, 2010)
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Où ?
Au ciné-cité les Halles, dans une des très grandes salles – une très grande et très bonne surprise pour un film 100% « auteur »
Quand ?
Jeudi soir, à 22h30 (et il y avait encore du monde)
Avec qui ?
Seul
Et alors ?
Avec Copie conforme, le réalisateur iranien Abbas Kiarostami pose pour la première fois sa caméra hors de son pays natal pour raconter une histoire de fiction (on lui
doit en effet déjà le documentaire ABC Africa). La région toscane qui lui sert de point de chute n’est pas seulement très éloignée de l’Iran par une distance
géographique, elle l’est aussi socialement et politiquement – tranquillité de l’existence, liberté individuelle, accès à la culture… Les gens que l’on y croise sont forcément modelés par ces
différences de cadre de vie ; et puisque Kiarostami a toujours filmé des personnages représentatifs du lieu du scénario Copie conforme est, dans ses thèmes et ses
épreuves, en rupture totale avec les étapes précédentes de son œuvre.
Le poids des traditions et de la rudesse des conditions matérielles de vie du peuple iranien s’évapore, et laisse la place aux faux-fuyants et autres tâtonnements affectifs des citoyens européens
suffisamment aisés pour s’installer dans le cadre idyllique de la Toscane. Ses paysages à l’éclat délicat flattent les sens, et son caractère de musée à ciel ouvert stimule l’esprit. Ne reste que
les relations sentimentales comme seule source potentielle de trouble, comme c’est le cas chez les personnages manhattaniens huppés de certains films de Woody Allen. Mais ces émois, ces tracas,
ces emportements parfois, sont-ils authentiques ou constituent-ils le plateau et les règles d’un jeu auxquels eux (et nous) s’adonnent faute de la présence d’un péril plus vif ?
La première partie de Copie conforme, qui met en place un dispositif où cohabitent les deux hypothèses, est très réussie et excitante. On y trouve donc, bien sûr, un
couple. Lui (William Shimell, comédien non professionnel comme aime à les utiliser le cinéaste) a écrit un essai défendant la thèse de la supériorité de la copie sur l’original en art – car, en
résumé, la copie est vivante et surprenante alors que l’original est figé et mort. Elle (Juliette Binoche) possède une boutique d’objets d’art à Florence, et rencontre Lui à l’occasion d’une
conférence qu’il donne dans la ville. Le flirt qui s’engage entre eux, à l’occasion d’une escapade improvisée dans un village proche, est ainsi immédiatement combiné à cet échange enthousiaste
sur le statut et la valeur des œuvres d’art. Le jumelage s’amplifie de scène en scène, car il y a quelque chose d’incontestablement – et de volontairement – déroutant dans la relation entre les
deux personnages. Ce qu’ils font et ce qu’ils disent font parfois penser que se déroule devant nos yeux un original (ces deux-là se rencontrent pour la toute première fois), et à d’autres moments
qu’il s’agit d’une copie – Elle et Lui se connaissent depuis bien longtemps, et jouent à reproduire le saut dans l’inconnu d’une première fois. Ce passionnant emboîtement des récits gagne encore
en portée par son caractère latent : les personnages le vivent, mais ne le formulent pas et donc ne le dissèquent pas à notre place. Ils nous laissent actifs face à cette indécision.
La mise en scène de Kiarostami, superbe de limpidité, participe à l’engouement que crée ce premier acte. Ses choix de cadrages et de montage forment un ensemble quasi inégalable dès lors qu’il
s’agit de faire ressentir l’évolution des personnages dans l’espace et dans le temps. Le plan-séquence de l’entrée dans le village de Lucignano, avec ses pauses, ses bifurcations et ses
changements d’environnement (du parking à l’extérieur des remparts aux couloirs du musée en passant par l’entrelacs de ruelles piétonnes pavées), est ainsi une merveille d’enregistrement de la
géographie des lieux, du temps mis par Elle et Lui pour les arpenter – et, donc, de l’étendue de ce que leur conversation a pu couvrir comme thèmes et émotions dans l’intervalle.
Une séquence vient sciemment bousculer cet agencement. La patronne d’un bar dans lequel Elle et Lui se sont arrêtés pour prendre un café croit voir en eux un couple véridique, marié depuis des
années, et engage une discussion à partir de cette supposition avec « l’épouse » tandis que « le mari » est sorti répondre à un coup de téléphone. Plus tard, Elle dira à Lui
avoir « joué le jeu », jeu qui va désormais se poursuivre entre eux au grand jour jusqu’à la fin du film. Chacun de leurs actes et de leurs paroles est immédiatement analysé
par l’un ou l’autre, pour voir comment il s’intègre dans le cadre de la vie commune d’un tel couple, qu’Elle et Lui sont ou pas. L’ennui n’est alors pas tant de savoir quelle est la réponse
correcte – le scénario et les dialogues laissent suffisamment d’ambiguïté pour que chacun dans la salle puisse choisir sa propre solution –, mais de voir la question être ainsi explicitée ;
placardée sur l’écran. Le mystère est éventé, et Copie conforme devient soudain plus didactique, plus pâle. Comme un de ces films à suspense qui une fois leur
twist révélé n’ont plus rien d’autre à faire qu’à dérouler le reste de leur programme mécaniquement, parce qu’il le faut bien.
Certes, il reste encore de très bonnes scènes, en particulier une dispute dans une trattoria dont la grande violence dans le déballage des griefs de chacun et le dépouillement de l’observation
(un simple champ-contrechamp sur les visages vus de près et de face) fait penser à ces moments émotionnellement si intenses de la série In
treatment. Les deux comédiens sont eux aussi irréprochables, et le naturel atteint par Juliette Binoche dans la modulation de son jeu en fonction de la langue qu’elle
emploie (elle bascule entre l’anglais, le français et l’italien selon la situation et l’interlocuteur) a assurément contribué au prix d’interprétation qu’elle vient de recevoir à Cannes. Mais tout de même. Le charme du début a été rompu, et la
deuxième moitié de Copie conforme court après cet état de grâce perdu comme ses protagonistes courent après un amour qui se refuse à eux.