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- Albert Dupontel, le Vilain Créateur
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Où ?
Au ciné-cité les Halles (dans l’une des trois très grandes salles) pour Le Vilain, et à la maison en DVD zone 2 (récupéré dans un magasin d’occasion) pour Le
Créateur
Quand ?
Respectivement dimanche matin et lundi soir
Avec qui ?
Avec mon compère de films UGC (et accessoirement fan de Dupontel) pour le premier et seul pour le second
Et alors ?
On peut résumer Le Vilain comme étant un Dupontel mineur, de même que l’on peut dire d’un film de Woody Allen qu’il est mineur. A ceci près que le new-yorkais réalise un film par
an depuis plus de quarante ans, quand le français n’en est qu’à son quatrième long-métrage en treize ans… Il y a donc inévitablement une sensation de gâchis à le voir faire le job a minima. Faire
les jobs a minima, devrais-je dire, Dupontel occupant comme à son habitude seul les trois postes de la sainte trinité scénariste, acteur et réalisateur. Pour chacune de ces casquettes,
le constat est le même : par rapport à ce qu’il a démontré pouvoir faire dans ses précédents films (Bernie, Le Créateur et Enfermés dehors),
Dupontel s’arrête en chemin, par autocensure, crise d’inspiration ou flemme – la répartition entre les trois causes restant floue.
Dupontel scénariste conçoit des seconds rôles bien croqués et aussi bien castés (Catherine Frot en mamie gâteau, Nicolas Marié en médecin excentrique, Bouli Lanners en promoteur véreux), mais
leur donne un temps de présence insuffisant au regard de leur potentiel. Dupontel acteur distille au compte-gouttes ses mimiques de cartoon et ses inimitables tirades à la syntaxe rongée par
l’excitation empressée à dire ou faire le mal. Dupontel réalisateur, s’il assure une qualité au-delà de la moyenne médiocre du cinéma français, ne montre plus aucun signe ou presque de l’envie et
de l’ambition qui alimentaient ses trois premiers longs. Pour se rendre compte à quel point tout dans Le Vilain est étriqué, le mieux à faire est de (re)voir Le
Créateur – ce que j’ai donc fait. La mise en parallèle des deux films est sans appel. Le Créateur a beau afficher la même durée que Le Vilain, il est
infiniment plus fourni en idées en tous genres. A partir d’un point de départ tout aussi mince (un auteur dramatique à succès n’arrive pas à écrire sa deuxième pièce vs. un braqueur de
banque trouve refuge chez sa mère), le premier récit se déploie tel l’explosion spectaculaire de matière qui suit un Big Bang quand le second, pauvre Big Crunch, se ratatine sur
les quelques concepts présentés dans ces premières minutes.
Comme il l’avait déjà fait dans Bernie, Dupontel se sert dans Le Créateur de son alter ego psychologique favori – un énergumène mi-benêt mi-danger public, en
équilibre instable, ici prénommé Darius – comme d’un bélier abattant les murs de la comédie. Le scénario qui démarre comme un délire gentiment incisif et crétin (les beuveries et lendemains de
beuverie de Darius – « quand on change le code, on prévient !! ») dérive ainsi avec aplomb vers des territoires minés, où il échappe à tout contrôle bienséant. On y croise
des comédiens de théâtre et des techniciens de l’ombre traités avec la même antipathie ; des rôles annexes qui sont autant de cadavres en devenir ; un héros successivement tueur de
chats, tueur d’humains, génocidaire de bretons et pour finir suicidé cathartique si cela peut lui permettre de retrouver l’inspiration. On s’y trouve aussi nez à nez avec Jésus ou son Père au
détour de rêves délirants : « Alors pendant que je me sacrifie, toi tu oublies d’écrire ta pièce » dit le premier, quand le second manque d’inspiration pour créer une
nouvelle planète (« jaune fluo », où « l’homme naîtra vieux et malade et ainsi ne se plaindra pas ») ; c’est autre chose que les évocations simplettes et
triviales de la présence divine du Vilain. Dans Le Créateur Dupontel charge sabre au clair, sûr – à raison – de son fait et de la logique interne hallucinante de
son script. Tous les personnages qu’il invente finissent maltraités à la hauteur de leur apathie ou de leur suffisance, et lui-même se taille la part du lion dans ce domaine.
Plus encore que son air contrit ou que certaines réparties brillantes (« – J’aimerais savoir où va mon personnage ! – Par… là », « Kénavo les
bouseux ! »), les moments les plus irrésistibles sont les deux discours en roue libre dans lesquels il tente désespérément de camoufler sa non-création en la déguisant en une forme
d’art novatrice. A partir d’un mot, d’un concept, Dupontel est capable d’improviser brillamment ; il se réserve là des espaces idéaux pour le faire. La même ambition de donner son maximum
irrigue la mise en scène, porteuse d’un véritable projet que le cinéaste expose clairement et avec aplomb dans un captivant commentaire audio (on serait curieux de le voir tenter la même chose
sur le futur DVD du Vilain). La photographie aux somptueux tons ocres et rougeoyants, l’emploi en abondance des plongées et contreplongées, le va-et-vient constant entre d’un côté
la fluidité des travellings et mouvements de grue, et de l’autre des sections montées très cut, sont autant d’éléments participant activement à façonner le cauchemar éveillé dans lequel
s’enfonce Darius. Celui-là même qui menace tout être humain : la conscience aiguë de la potentielle médiocrité et insignifiance de son existence, tout bien considéré. Etre capable de faire
hurler de rire, sur la durée, avec un tel sujet sans jamais trahir ce dernier est la meilleure preuve de la réussite du Créateur.