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- La haine, de Mathieu Kassovitz (France, 1995)
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Où ?
A la maison, sur Arte
Quand ?
Le jeudi soir de sa diffusion, il y a quelques semaines
Avec qui ?
Seul
Et alors ?
« L’important c’est pas la chute, c’est l’atterrissage ». En 1995, quand La haine est sorti en France, les deux morts de Clichy-sous-Bois en 2005,
Bouna et Zyed, avaient respectivement 5 et 7 ans. Ceux de Villiers-le-Bel en 2007, Mohsin et Laramy, en avaient 2 et 3. L’avertissement lancé par le film à la « société qui
tombe » n’a visiblement pas été entendu à temps pour épargner ceux-là. De toute manière, il n’a de toute évidence pas été entendu du tout puisque quinze ans après, la vision de la cité
(de Chanteloup-les-Vignes) telle qu’elle a été enregistrée par le film ne fait pas l’effet d’un témoignage du passé mais d’un document pleinement ancré dans le présent. Le noir et blanc retenu
par Kassovitz ne change rien à la donne ; il rend au contraire La haine intemporel, du moins tant que nous nous trouvons dans la phase de chute, avant
l’atterrissage.
Le scénario de La haine déroule 24 heures de la vie d’un trio d’habitants de la cité, Vince le blanc, Hubert le noir et Saïd l’arabe, au lendemain d’une nuit d’émeutes
explosives qui ont fait brûler voitures et salles de gym en réaction au coma d’un jeune provoqué par une bavure policière (toute ressemblance…). La vie diurne du quartier reprend comme à son
habitude, mais tout le monde est à cran et chaque altercation, d’ordinaire vaguement conflictuelle, peut devenir l’étincelle qui relance l’incendie. Kassovitz et ses héros naviguent à vue entre
la cocasserie et la tension, entre les vannes qui fusent (« Nique sa mère le maire », « Juif en carton ») et les heurts physiques qui se multiplient. Cette
redéfinition permanente du ton du film est une preuve de vitalité, et d’audace, autrement plus convaincante que les coquetteries de réalisation de l’un et d’interprétation des autres (les effets
de manche de la caméra de Kassovitz, le « c’est à moi qu’tu parles ? » de Vince Cassel), certes toujours talentueuses mais aussi souvent superflues.
La bande de La haine roule des mécaniques pour impressionner la galerie, mais heureusement elle n’oublie pas pour autant le message dont elle est porteuse. Dans sa
deuxième moitié, le scénario laisse intelligemment de côté la chronique de l’existence sous une chape de plomb en envoyant ses trois personnages en virée dans Paris intramuros. La capitale est
une autre planète que le film capte comme telle, si près à vol d’oiseau mais si loin à pas de banlieusard ghettoïsé. Le dernier train raté et la tentative, ratée elle aussi, de vol d’une voiture
pour rentrer sont là pour rappeler cette froide réalité, même si c’est sur le ton de la plaisanterie. Une fois dedans, tout est radicalement différent – l’architecture, l’énergie, la mode
vestimentaire, la qualité des infrastructures… La longue première partie passée en immersion dans la cité a aussi cette valeur-là de nous faire à notre tour sentir au premier coup d’œil ces
différences, ces inégalités omniprésentes, même s’il ne s’agit que du décor (le centre commercial flambant neuf dans lequel les personnages passent la nuit, par exemple). La distance symbolique
entre les deux univers est telle que le film ne peut que se muer en récit d’aventures picaresque, exotique, avec ses figures hautes en couleur – « Astérix » le dealer, le passant
anonyme éméché – et ses épisodes périlleux mais desquels les héros sortent évidemment indemnes, qu’il s’agisse d’échapper à des flics ou à des skinheads.
Mais si Paris est une parenthèse irréelle, enchantée à sa manière, le quotidien de Vince, Hubert et Saïd est ancré dans la cité, où mille raisons peuvent conduire au drame et où une seule suffit.
L’« atterrissage » qui y attend les trois personnages dans les toutes dernières secondes du film est d’une violence saisissante, qui ne perd rien de sa force au gré des visionnages –
preuve qu’il s’agit là d’une conclusion cohérente et légitime, et non d’un simple twist final à courte vue. Quinze ans après, cette démonstration et la puissance de frappe qui
l’accompagne avivent le regret que La haine soit resté un épiphénomène, sans successeur véritable. Il n’y a pas eu de transmission, de mise sur pied d’un cinéma de la
banlieue qui nous donnerait régulièrement des nouvelles. Les cités et leurs habitants restent dans l’angle mort, à l’écran comme au quotidien. Les artisans de La haine
portent forcément une part de responsabilité dans cet échec, en s’étant rapidement orientés vers des carrières lucratives de stars « ordinaires », avec leur lot de cachetonnages sans
états d’âme à Hollywood (seul Hubert Koundé s’en est tenu à distance) : Gothika pour Kassovitz, Ocean’s 12 et 13
pour Cassel, G.I. Joe pour Taghmaoui.
Bien loin de Chanteloup-les-Vignes.