• Pierrot le fou, de Jean-Luc Godard (France, 1965)

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Où ?
Chez moi en DVD, dans l’édition zone 2 en partenariat avec Les cahiers du cinéma 

Quand ?
Le week-end dernier

Avec qui ?
Seul

Et alors ?

Au terminus du parcours de cinéma absolu effectué par Godard dans les années 60, on trouve Pierrot le fou. Belmondo y interprète comme dans À bout de
souffle
un héros en marge de la société, mais la situation de Pierrot est inverse à celle de Michel : le criminel de fiction rattrapé par la réalité laisse la place à un homme
initialement banal, qui rejette cet état en se plongeant corps et âme dans une aventure consacrée à la création artistique sous toutes ses formes.

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Lorsqu’il quitte sur un coup de tête sa femme pour fuguer avec son ancienne amante Marianne (Anna Karina), ce n’est pas tant elle qu’il suit mais ses fantasmes de cinéma (Renoir, Michel Simon…),
de peinture (Picasso, Van Gogh…) de littérature (Balzac, Faulkner…) et de BD (les Pieds Nickelés). Autant de choses qui l’ont façonné en tant qu’homme, qui ont nourri ses questionnements intimes
– sur le sens à donner à sa vie, sur la quête de l’amour – et qui nourrissent de la même manière chaque scène, chaque parti pris formel du film. Dans un geste d’une ambition énorme, Godard
choisit de retourner comme un gant le principe habituel qui veut qu’au cinéma les sentiments des personnages irriguent le récit en sous-main tandis que les images restent réalistes,
« conformes » au monde extérieur. Dans Pierrot le fou, les images SONT les sentiments, sans intermédiaire aucun ; ce qui confère au film à la fois une
beauté plastique saisissante (la séquence de voyage nocturne en voiture, avec les reflets des réverbères sur le pare-brise et les visages du couple à travers celui-ci) et une énergie créatrice et
romanesque qui ne faiblit jamais d’un bout à l’autre du parcours tragique de Ferdinand / Pierrot – au contraire même, elle se régénère à chaque nouvelle séquence.

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Si une telle ardeur peut s’épanouir, c’est grâce au parallélisme des chemins empruntés par le cinéaste et son héros. Tous deux sont en quête d’un idéal pour lequel ils sont prêts à tout
sacrifier : l’amour pour Ferdinand, le cinéma pour Godard. Pierrot le fou est en effet le long-métrage qui porte peut-être le plus aux nues le fait même de faire du
cinéma ; c’est-à-dire de superposer dans un même espace et la vie (le mouvement, la parole) et l’art sous plusieurs formes – peinture et littérature par exemple, pour n’en (re-)citer que
deux. L’impact sublimatoire de la création artistique sur les péripéties et émotions vécues par le héros et transmises au spectateur s’en trouve décuplé, de sorte que si le 7è art nous a déjà
abreuvé de magnifiques histoires d’amour à mort en nombre, peu d’entre elles ont atteint leur objectif romantique en se reposant à ce point sur des moyens de pur cinéma.

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Sur leur route, Godard et Ferdinand rencontrent tous deux des figures qui les guident et les aident à persévérer. Le mimétisme entre l’artiste et son alter ego (concept déjà à l’œuvre dans
À bout de souffle, où Godard et Michel sont 2 anarchistes cherchant à détraquer le système de l’intérieur) est tel que ces figures se rejoignent à 2 reprises en une
seule et même personne, s’exprimant à la fois en tant que protagoniste du film et individu réel. Au début de Pierrot le fou, le réalisateur Samuel Fuller explique ainsi
à Ferdinand sa vision du cinéma – « l’émotion, tout simplement » – quelques minutes seulement avant que le film se lance dans sa double quête effrénée. Juste avant la détonation finale,
c’est Raymond Devos qui vient expliciter l’impasse rencontrée par Ferdinand, sous la forme d’un sketch indépendant du reste du film scénaristiquement et formellement, et pourtant complètement
intégré thématiquement tant dans le destin de Ferdinand que dans celui de Godard, tous 2 « trahis » par la femme qu’ils aimaient et dès lors acculés par un mélange de raisons futiles
(sentimentales) et profondes (dégoût du monde) à une radicalisation brutale et définitive de leurs actions – de cinéaste pour l’un, de personnage de fiction pour l’autre.

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Les deux compléments de programme de la nouvelle édition zone 2 du film (une présentation et un commentaire audio) forment un accompagnement de grande valeur, en posant des mots simples et
sincères sur les sensations que l’on ressent face au film. Les 2 intervenants (Jean-Michel Frodon et Jean-Bernard Pouy) ne cherchent pas à interpréter Pierrot le fou de
manière ésotérique, mais se contentent modestement de souligner les caractéristiques uniques du film, qui vont par paires : grande beauté formelle (la lumière de Raoul Coutard, la
musique d’Albert Duhamel) et ouverture sincère à l’imprévu ; mise en scène simple, « évidente » (cadre large, peu travaillé, au sein duquel ce sont les personnages qui
bougent) et réflexion particulièrement poussée sur la raison d’être du cinéma et de l’art ; trame de fiction (un polar de Lionel White) et importantes insertions autobiographiques ;
alternance de pur cinéma (les ellipses, la séquence de comédie musicale…) et de références précises à l’actualité (les guerres d’Algérie et du Vietnam, splendidement résumées en quelques minutes
à chaque fois). Tout cela forme au total un mélange unique, miraculeux, inoubliable, dans une démarche de « pure désinvolture » comme le dit Pouy admiratif. On le serait à
moins, tant Pierrot le fou se regarde ad libitum avec ou sans l’accompagnement de ces 2 cinéphiles éclairés et éclairants.

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Une réponse à “Pierrot le fou, de Jean-Luc Godard (France, 1965)”

  1. [...] Dans de telles circonstances, l’harmonie idéale de l’année 1966, quand l’un faisait Pierrot le fou, l’autre Fahrenheit 451 et que tous deux défendaient ardemment et de concert La religieuse de [...]