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- Elephant, de Gus Van Sant (USA, 2003)
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Où ?
A ma (nouvelle) maison, en K7 vidéo. C’est le premier film digne d’une chronique que j’aurai vu dans le 10è arrondissement (le premier-premier a été La folie des grandeurs,
mais bon…)
Quand ?
Dimanche soir
Avec qui ?
Ma femme, qui comme moi ne l’avait vu qu’une seule fois et voulait le revoir.
Et alors ?
Lorsqu’il remporte la Palme d’Or en 2003 avec Elephant, Gus Van Sant en est à sa 3è vie de réalisateur. Après un début de carrière placé sous le signe du cinéma indépendant le
plus pur (personnages marginaux et iconiques, récits en forme de road-movies qui tournent à l’errance dans des coins paumés des USA) et un passage à Hollywood non négligeable – 5 films combinant
malicieusement exigences mainstream et regard personnel du cinéaste -, la nouvelle incarnation de Van Sant semble alors être celle de la maturité triomphante. Il s’y développe une
remarquable fusion entre aisance de la forme et intelligence du fond, qui font d’Elephant une œuvre qui marque comme peu d’autres – même si à mon sens la Palme d’Or est arrivée un
film trop tôt : le long-métrage suivant de Van Sant, Last days, est pour moi encore plus abouti dans cette voie expérimentale unique tracée par le cinéaste.
Le retentissement qu’a eu Elephant, qui n’était au départ qu’une commande pour la chaîne câblée HBO, tient à son sujet – inspiré du massacre de l’université de Columbine – ainsi
qu’au traitement distancié qu’en propose Van Sant. La caméra de ce dernier est en effet inhumaine – inhumaine car elle est incapable de percer à nu les âmes des êtres qu’elle observe pour y
trouver les raisons de leurs actes ; inhumaine car elle se joue des règles d’espace et de temps, en étant en mesure de remonter à sa guise le cours des événements ou de pénétrer chaque
recoin du lycée. Mais distancié ne veut pas dire froid : au contraire, en se détachant des polémiques insolubles sur les motivations des 2 meurtriers, Elephant nous amène au
plus près de la tragédie que représentent ces morts gratuites et dénuées de sens, de logique.
Pour cela, il nous guide à travers les couloirs et les salles de classe pour voir de quoi sont faits les tous derniers instants (qui se comptent en minutes, plutôt qu’en heures) de plusieurs
élèves. Tous vivent une matinée banale traversée de bonheurs simples et fugaces – soulignés par de superbes ralentis, sans interruption du plan où ils prennent place – et de malaises plus
profonds. Elephant touche là à quelque chose de fort sur l’adolescence : le mal-être y est une constante, qu’on l’affiche (Michelle, la fille quelconque qui refuse de venir
en short au cours de gym) ou qu’on le masque (les 3 bimbos anorexiques). Une fois les parcours de chacun ainsi reliés pour former un tableau d’ensemble homogène, Éric et Alex, les 2 tueurs,
quittent le statut de parasites monstrueux pour apparaître comme une version exacerbée de ce malaise généralisé.
Ils ne sont donc pas diabolisés, mis au ban de la société ; toutefois, malgré ce traitement d’une grande finesse, les scènes qui leur sont consacrées sont celles qui affaiblissent le récit
pour une raison de structure. En remontant dans le temps jusqu’à la veille du drame, en sortant du lycée, et en racontant assez platement une histoire linéaire (l’achat et la réception des
armes), cette séquence sort en effet du cadre du récit tel qu’il a été résumé par Van Sant dans un dessin astucieusement repris sur le DVD MK2 pour servir de menu de chapitres :
Un autre personnage bénéficie d’un traitement à part dans Elephant : John, le blond sensible et réservé. Parmi les personnages suivis nommément par la caméra, il est le seul
à échapper au carnage. Inévitablement, la question du pourquoi d’une telle grâce se pose ; évidemment, aucune réponse déterminée n’est donnée. A chacun de piocher parmi ce qu’il peut ou veut
comprendre des signes disséminés ça et là dans le film, pour y voir qui la présence d’une force supérieure qui trace nos voies (la caméra le plus souvent en plongée au-dessus des
personnages ; la scène-clé où John croise un ami à lui quelques secondes avant le drame, qui est répétée 3 fois et s’achève toujours de la même manière – l’un part du bon côté, pas l’autre),
qui un statut hors du commun, angélique peut-être, du personnage – son introduction située en dehors du lycée, la couleur jaune de son t-shirt que l’on retrouve chez 1 autre élève tentant de
sauver ses congénères pendant la fusillade… -, qui le simple fait du hasard ou autre chose encore. Une seule chose est certaine : Elephant est précieux, car il a la
lucidité de renverser le problème pour se demander non pas « pourquoi la mort ? » mais bien « pourquoi la vie ? ». La scène courte et toute en retenue où John et son
père regardent de loin le drame, en se rendant silencieusement compte de leur chance de n’en être que des spectateurs, résume à merveille ce questionnement et cette fragilité.
[Ça n'a pas grand-chose à voir avec le film en lui-même, mais et si je me faisais un mini-cycle Palmes d'or dans les prochains jours ?...]