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- Time and Tide, de Tsui Hark (Hong Kong, 2000)
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Où ?
A la maison, en DVD zone 2 anglais
Quand ?
Dimanche après-midi, il y a deux semaines
Avec qui ?
Un ami cinéphile bien que prêchant la bonne parole du Blu-Ray
Et alors ?
« On the seventh day, God had planned to rest. But he had to start all over again. He’s not the only one to start all over. The whole world has to do it with him too. »
Pour se relever de cinq années d’une expérience catastrophique à Hollywood (deux films, Double team et Piège à Hong Kong, sur lesquels il n’aura pas eu son mot à
dire ou si peu) alors qu’il se trouvait au sommet de son art après la démonstration de force brute qu’est The Blade, Tsui Hark a décidé en l’an 2000 de faire table rase du passé.
Pas uniquement le sien ; celui de l’ensemble du cinéma d’action. Remettre les compteurs à zéro. Repartir sur des bases entièrement nouvelles. C’est à peu près impossible à saisir la première
fois qu’on le voit, mais Time and Tide est donc l’histoire d’une genèse – d’où la citation en exergue. La première fois, on ne voit dans Time and Tide qu’une
frénésie incessante de courses-poursuites, fusillades, combats à mains nues filmés par une caméra qui n’a jamais été autant immergée dans l’action qu’ici. Mais ce chaos tonitruant se referme au
final sur deux naissances, qui étaient depuis le départ le seul véritable enjeu tangible. Il s’agissait d’assurer l’accomplissement de ce nouveau départ pour les personnages (pour qui ces bébés
assurent un équilibre, un avenir plus serein) ; un nouveau départ qui symbolise de manière évidente celui de Tsui Hark à travers son film, son bébé à lui.
Time and Tide mérite sans hésitation sa place dans mon Top 10 de la décennie 2000-2009, car Tsui Hark y a pleinement atteint son but en
révolutionnant ce qu’un film d’action peut être – et donc doit être. Le principe fondamental de cette révolution consiste en la sommation d’inoculer les effets spéciaux numériques dans l’ADN du
cinéma d’action ; de là, ils peuvent ainsi influer sur n’importe quel élément du genre. Pour prendre la mesure de l’avance prise par Hark il faut se rappeler que lorsque Time and
Tide sort, l’usage des images de synthèse et des nouvelles potentialités de montage n’a pas encore véritablement dépassé le stade de l’exhibition balourde et finalement très m’as-tu-vu.
C’est l’époque des écrans verts intégraux de La menace fantôme, du bullet time de Matrix. Hark creuse alors un tel écart avec ces pratiques qu’en dehors
de quelques timides expérimentations (la course-poursuite caméra à l’épaule dans l’usine dans Minority
report, le plan-séquence inaugural de Panic room), il faudra finalement attendre presque dix ans pour que Hollywood assimile pleinement la nouvelle donne – le
tout récent Ninja Assassin, par exemple.
Hark fut donc le premier à comprendre le véritable intérêt des effets spéciaux : ils sont le plus puissant accélérateur d’action qui soit. Grâce à eux, on peut passer à travers la matière et
découvrir ce que recèle un sac, ou bien qui se cache dans un appartement, sans en passer par un dialogue ou une scène forcément superflus puisque dédiés exclusivement à la fourniture de cette
information. On peut également s’affranchir des échelles, qu’elles soient exiguës (lorsqu’on se faufile dans le canon d’un fusil jusqu’à atteindre l’œil du tireur) ou immenses, quand une photo
ornant une carte postale sert de moyen de transport instantané vers le lieu représenté, et situé à l’autre bout de la planète. Désormais, plus aucun obstacle n’est donc en mesure de bloquer notre
vision, et donc de justifier l’emploi d’un chemin détourné.
Pour impressionnant qu’il soit, s’il est pris seul ce postulat peut vite se voir réduit au statut de gadget de fête foraine. Il faut associer à cet éclair de génie la rigueur et l’insistance de
celui qui, comme Hark ici, s’attache à élever tout son film au niveau de la maestria de ses effets spéciaux. Pour y parvenir, il faut poursuivre sur la même voie et faire tomber toutes les
barrières qui peuvent brider le cinéma d’action. Il faut renverser le rapport de force : ce n’est plus à l’action de s’adapter au monde mais au monde, devenu terrain de jeu géant, de
s’adapter à l’action. Tout lieu public – un hôtel, une gare – ou privé (les immenses barres d’habitation de Hong Kong) a dorénavant pour seule raison d’être d’accueillir une scène d’action, et de
mettre à son entière disposition tous ses atouts géographiques. A mesure que le film avance, le scénario a lui aussi de moins en moins son mot à dire sur la légitimité de l’action présentée – le
bien-fondé de l’escapade à la gare ne tient qu’à un fil, et son prolongement jusqu’à une salle de spectacle ne se justifie plus que par l’adrénaline qu’il génère lui-même sur l’instant. L’action,
au départ subordonnée à certains principes (l’un des deux héros est un gangster repenti pourchassé par ses ex-associés, l’autre appartient à une société de gardes du corps), étend de ce fait peu
à peu son diktat à l’ensemble de la ville et du film.
Hark étire chaque confrontation et chaque jeu du chat et de la souris au-delà de toute prévision, en mettant à profit recoins secrets et chemins alternatifs pour ne jamais passer deux fois au
même endroit. Et ce y compris lorsque la séquence dure plus d’une dizaine de minutes, et qu’elle est toujours en mouvement. Un mouvement permanent que la caméra est astreinte à suivre – à elle de
trouver comment. Car, et c’est là une autre des grandes idées du cinéaste sur Time and Tide, la caméra est « humaine ». Tel un œil humain (le nôtre), elle n’est jamais
complètement au repos ; elle ne choisit pas toujours instinctivement les bons angles de vue ; et elle est fréquemment surclassée par les prouesses des personnages. Cette déficience de
la caméra est bien entendu tout à fait maîtrisée par Hark. Il ne s’agit pas d’une impuissance à tout saisir ; Hark n’est pas le meilleur réalisateur d’action vivant pour rien, et il sait en
permanence trouver et filmer le plan ou l’insert qui nous permet de conserver une compréhension impeccable de la scène. Ce qui est mis en place est une impuissance à tout anticiper. De manière
incroyablement bluffante, Hark parvient à simuler le fait que sa caméra ne sait pas à l’avance l’endroit où les protagonistes se trouvent ou le chemin qu’ils vont emprunter pour s’esquiver. La
règle est de suivre le mouvement au point de s’abandonner complètement à lui et au risque de se faire prendre à contre-pied. De nombreux plans partent ainsi dans un sens uniquement pour découvrir
que le personnage talonné n’y est plus, et donc changer d’orientation. Cela ne dure jamais plus qu’une fraction de seconde, mais l’effet créé est prodigieux. Et il participe, au côté de mille
autres choses plus ou moins perceptibles (plus : les interprètes ultra-charismatiques, moins : la musique omniprésente mais dans un rôle sous-jacent, d’accompagnement), à faire de
Time and Tide ce monument d’euphorie insurpassable.