Où ?
Respectivement à l’UGC Normandie et en DVD dans les Landes
Quand ?
La semaine dernière, pendant mes vacances au bord de la mer (Fight club) ; et juste avant de partir, le soir de la fête de la musique (Zodiac)
Avec qui ?
Pour le premier, Rob, mon pote cinéphile catégorie UGC (qui a aimé mais sans plus, comme moi lors de mon premier visionnage du film), et pour le second ma chérie en mode « mains devant les yeux » pour les scènes les plus violentes
Et alors… ?
Par définition, les kamikazes ont difficilement droit à une deuxième chance de faire passer leur message. Avec un seul film en huit ans, qui plus est alimentaire (Panic room), telle semblait être l’impasse dans laquelle s’engageait la carrière de David Fincher à la suite de son dévastateur Fight club. Mais sous ses dehors de commande sage et calibrée – une enquête tirée de faits réels sur les traces d’un serial killer –, Zodiac signe la résurgence des ambitions subversives du réalisateur, qui se cristallisent autour d’un même duo de personnages principaux : un « héros » sans saveur à la vie terne et banale (Jake Gyllenhaal en dessinateur solitaire et renfrogné prend le relais d’Edward Norton) et son double certes criminel mais à l’existence grisante et ludique – Tyler Durden portait des tenues improbables et donnait des devoirs cocasses à ses sbires, le tueur du Zodiac communique par cryptogrammes truffés de fautes d’orthographe volontaires.
Bien sûr, Fincher a retenu les leçons de son précédent brûlot et attaque cette fois-ci de manière beaucoup moins frontale et insouciante – en 1999, porté par la vague de Se7en, il se croyait intouchable et libre de toute entrave au sein des studios, une sensation dont il sait désormais qu’elle était illusoire. Mais le changement d’angle entre les deux longs-métrages a au moins deux autres causes plus nobles. Tout d’abord, l’époque décrite n’est pas la même : le monde de Fight club est le notre, dans lequel la terreur, l’émiettement des repères et l’individualisme à outrance sont présents au quotidien. En reculant d’une trentaine d’années (l’essentiel de l’action se déroule dans les années 70), Zodiac revient à une période où ces aspects commençaient tout juste à émerger. L’autre cause est une raison technique. L’arrivée du numérique HD offre au cinéaste des moyens à la fois plus puissants et plus discrets de parasiter le récit « officiel » du film, par une mise en scène qui abuse de la confiance du spectateur et le manipule en lui envoyant des signaux contradictoires.
Encore une fois en première ligne sur les évolutions technologiques (
Fight club était en son temps l’un des premiers films à utiliser les images de synthèse sans en faire un argument de vente), Fincher utilise le numérique pour surcharger d’informations l’image et la bande-son. L’excellente définition et la netteté d’image offertes par ce nouveau matériel donnent des plans à l’éclairage soigné et où le niveau de détails atteint des sommets presque dérangeants, qui vont à l’opposé de ce que l’on attend d’un film basé sur des faits réels et traitant d’un mystère non résolu. Le même phénomène se reproduit sur le mixage, qui fait entendre de manière beaucoup trop précise des sons habituellement noyés dans le bruit ambiant – sirènes de police, sonneries de téléphone…
L’oppression tourne au malaise lors de la rencontre entre le héros dessinateur et son double assassin. Comme toutes les scènes, même les plus courtes, celle-ci est accompagnée d’un sous-titre indiquant son lieu, et sa date : 1983. Mais un calendrier clairement visible dans le plan indique « février 80 ». On retrouve là l’idée introduite dans
Fight club par la réplique sur l’
« humour flash-back» (au début du film, le héros dit
« rien ne me vient à l’esprit » quand on lui demande quelles sont ses dernières paroles ; quand on revient à cette scène après avoir déroulé l’ensemble du récit en flash-back, la réplique se transforme en
« toujours rien ne me vient à l’esprit »). Les deux situations rendent criante la fragilité des garde-fous traditionnels qui séparent le film et le spectateur, garde-fous que les deux films dans leur ensemble enjambent en réalité constamment. Cette volonté de laisser le soin à ses personnages non seulement de raconter une histoire (via l’écriture d’un livre ou la prise de parole en voix-off), mais aussi de la mettre eux-mêmes en scène, est le cœur de la conception qu’a Fincher de son art.
Pour ce faire, les personnages des films doivent logiquement être conscients de l’existence du cinéma et de ses techniques. De ce savoir découlent la séquence informative déclamée face caméra dans Fight club sur le travail de projectionniste (les marques de fin de bobine, les images subliminales – deux aspects mis directement en application dans le récit), ainsi que le jeu de références dans Zodiac, le tueur s’inspirant du septième art (Les chasses du conte Zarloff, les marques de fin de bobine à nouveau) et l’inspirant en retour : L’inspecteur Harry, mais aussi… Zodiac. En particulier, dans la séquence évoquée plus haut, le cadre est organisé de telle manière que le calendrier « février 80 » semble avoir été installé par le zodiac lui-même, qui pourrait bien par ce biais nous faire un clin d’oeil comparable à ceux de Fight club (mais en plus fin) signifiant qu’il tire les ficelles du film. Dès lors, il n’est pas surprenant que toutes les preuves et les témoignages rassemblés ne suffisent pas à le faire condamner. Les policiers du film vivent dans un monde régi par le zodiac, comme le monde de Fight club était régi par Tyler Durden. Signe de l’évolution entre hier et aujourd’hui, les solutions choisies par les deux hommes pour fermer le ban sont loin d’avoir les mêmes répercussions. Les méfaits du zodiac s’arrêtent avec sa volatilisation, ceux de son disciple en terreur ne font que débuter – soit la différence entre un monde encore contrôlable et cohérent et le chaos généralisé qui a éclaté à la face du monde réel le 11 septembre 2001.