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- Du silence et des ombres, de Robert Mulligan (USA, 1962)
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Où ?
À la Cinémathèque, en ouverture de la rétrospective consacrée au réalisateur
Quand ?
Mercredi soir (le film ressort par ailleurs en salles en copie neuve le 7 juillet)
Avec qui ?
Mon compère de cinémathèque
Et alors ?
Du silence et des ombres est certainement mieux connu sous son titre original To kill a mockingbird, qui est également celui du roman dont il
est l’adaptation. Laquelle adaptation ressemble, de loin, à des dizaines d’autres accomplies par Hollywood dans sa logique puisqu’intervenue moins de deux ans après la publication, et surtout
l’immense succès public et critique (avec entre autres récompenses le Prix Pulitzer) du roman. Cela tiendrait la route, à un « détail » près : en ce début des années 1960, le sujet
dont il est question représente encore un point noir majeur de la société américaine. L’action de To kill a mockingbird se déroule pourtant trente ans plus tôt. Mais
dans les États du Sud des USA, la ségrégation et les inégalités de traitement entre les races étaient toujours une loi formelle (dans les transports, l’éducation) ou tacite (par rapport à la
justice) en 1962 autant qu’en 1932 – le Civil Rights Act de Lyndon Johnson n’interviendra qu’en 1964. Avant cette date, porter la question à l’écran dans un cadre hollywoodien requérait
un courage approchant celui d’Atticus Finch, le héros du récit, et que tout le monde n’a pas trouvé en soi si l’on en croit les difficultés de lancement du projet.
Atticus Finch est l’avocat nommé pour assurer la défense de Tom Robinson, un noir accusé d’avoir violé et battu une fermière blanche. Cette affaire est à la fois au cœur du film, dont elle porte
tous les thèmes, et à sa marge car le point de vue adopté privilégie le rôle de père qu’a Atticus Finch sur son rôle d’avocat. Rien d’anormal à cela, les personnages principaux de To
kill a mockingbird étant les deux enfants d’Atticus, Jem et Scout. Respectivement âgés de dix et six ans, ils scrutent avec plus d’inquiétude les ombres portées et les mouvements
suspects autour des murs de la maison délabrée des voisins (les Radley, dont le fils Boo est présumé « bizarre ») que l’avancée de l’instruction de Tom Robinson. Le réalisateur Robert
Mulligan ne galvaude pas ce récit à hauteur d’enfant – fidèlement repris du roman – en un gimmick de mise en scène visant à tordre la réalité par des angles de vue particuliers, une
voix-off puérile ou une quelconque trouvaille du même style. Il en préserve l’effet pour les situations ou cela est réellement utile au film ; par exemple pour un travelling avant en vue
subjective perçant la foule de fermiers venue lyncher Robinson et seulement retenue par Atticus, pour la confusion volontaire régnant dans la bagarre finale, ou encore pour l’apparition de Boo
qui est figuré à l’écran tel un « monstre gentil » de conte de fées.
Surtout, la question du point de vue du récit débouche sur un principe limpide : aucune scène n’existe qui ne soit vue ou entendue par un des enfants. To kill a
mockingbird s’écarte ainsi définitivement du genre du film de procès, et de celui du film de « mission civique » (dans lequel un homme ou une femme se dresse seul(e) pour
combattre une injustice). C’est la chronique sensible d’une éducation – non pas l’éducation basique du spectateur à l’Histoire, mais celle, autrement plus délicate, de ses deux personnages à la
tolérance, à la bonté, à la justice. A travers leurs diverses épreuves (l’affaire Robinson, et plus encore l’approche de Boo Radley), Jem et Scout découvrent comment voir le monde depuis le point
de vue d’autrui ; comment « walk into their shoes ». C’est une chose que l’on ne peut apprendre passivement, mais qui doit bel et bien être comprise par chacun par
l’expérience. Les observateurs et conseils extérieurs – ici le père, Atticus – ne peuvent que prodiguer des orientations générales, sans savoir quand ni même si elles seront suivies d’effets. La
parabole d’Atticus qui donne son titre à l’œuvre, « remember it’s a sin to kill a mockingbird », en est le plus bel exemple.
To kill a mockingbird comporte bien une séquence de procès, assez longue qui plus est ; mais il ne s’agit pas d’une de ces affaires ayant changé la face du pays et
dont Hollywood raffole. Ce n’est qu’un procès tristement anodin, car mettant en exergue la vilenie et la bassesse de toute une frange de la population. Les accusations portées contre Robinson ne
se contentent pas de ne pas tenir la route, elles insultent carrément l’intelligence de quiconque n’est pas aveuglé par une accumulation de préjugés racistes. Pour leur part, Mulligan et son
héros sont suffisamment sensés pour ne pas tomber dans le piège qui consisterait à descendre dans l’arène pour combattre ces gens et leurs idées en usant des mêmes méthodes et ficelles qu’eux –
hurlements, exagérations, insultes, atteintes physiques. Ils exposent des faits (les contre-interrogatoires d’Atticus), rappellent des principes (la plaidoirie finale du même, centrée sur
l’égalité inaliénable des hommes devant la justice), et surtout ils n’oublient jamais de prendre le recul nécessaire pour voir correctement. La caméra de Mulligan s’attarde ainsi dans l’enceinte
du tribunal après le rendu du verdict, pour capter en un seul plan superbe l’hommage rendu par les habitants noirs à Atticus, le blanc qui a osé « walk into their shoes » le
temps d’un procès.
Atticus Finch et son interprétation par Gregory Peck tout en subtilité et en sagesse (un Oscar effectivement remporté a-t-il été déjà plus mérité ?) sont ce qui élève To kill a
mockingbird au rang de classique du cinéma. Atticus est un modèle pour tout un chacun tant dans sa vie publique, de citoyen (et non pas seulement d’avocat), que dans sa vie
familiale, de père. Mais ce n’est pas un modèle qui nous est imposé comme tel par le film. Il se construit comme tel au fur et à mesure de l’histoire par son attitude, sa présence, ses réactions
aux événements. C’est un véritable héros positif, et d’autant plus idéal que sa modestie et sa simplicité nous le rendent accessible. Souvent devant un film hollywoodien, on veut être comme le
héros ; cette fois, il est clair qu’on peut l’être pour peu que l’on suive la bonne voie.