• Il était une fois la révolution, de Sergio Leone (Italie, 1971)

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Où ?

Au Max Linder

 

Quand ?

Mardi soir à 21h30, à ce qui était la dernière séance : le film n’était sorti que le mercredi précédent (en version intégrale et copie restaurée) mais devait déjà laisser la place dès le
lendemain à Micmacs à tire-larigot… Mais il est toutefois disponible dans une très belle édition DVD, dont je dis quelques mots dans l’article qui suit

 

Avec qui ?

Mon frère, venu sans avoir la moindre idée de ce dont il s’agissait

 

Et alors ?

Il était une fois la révolution est le film le plus méconnu de Sergio Leone, pour plusieurs raisons. Tout d’abord, il est coincé entre deux blocs écrasants, d’un côté la trilogie
de l’Homme Sans Nom et Il était une fois dans l’Ouest et de l’autre le monumental Il était une fois en Amérique, capable de former un bloc à lui seul. Il était une fois la révolution opère même d’une certaine
manière la transition entre ces ensembles, puisqu’il mêle la désinvolture détachée des westerns spaghetti et la maturité solennelle de ce qui sera l’ultime film de Leone. Par ailleurs, on n’y
trouve pas un casting aussi prestigieux ; Rod Steiger et James Coburn ont beau constituer un excellent duo d’acteurs principaux, aucun des deux ne possède l’aura de Clint Eastwood, Henry Fonda ou
Robert De Niro.

La raison principale qui a, au fil du temps, plus ou moins poussé ce film dans l’oubli est encore plus pragmatique : la confusion liée à la multiplicité des versions existantes. Par rapport
à la version intégrale italienne, les copies d’exploitation dans le reste du monde ont subi en effet des coupes variables en nombre et en durée suivant les pays (Angleterre, France, Etats-Unis…),
lesquelles coupes s’apparentent à de la censure pure et simple en même temps qu’elles prouvent qu’à l’époque les distributeurs prenaient vis-à-vis des films des libertés qui minimisent fortement
la gravité de ce que l’on peut observer de nos jours. La version restaurée présentée au Max Linder (et encore au Grand Action) est pour le plus grand bonheur des spectateurs la version
italienne intégrale
– que l’on peut aussi retrouver dans l’édition DVD la plus récente (2005), mais sans la restauration de l’image cependant. Les scènes réintégrées concernent pour la
plupart le développement des personnages, beaucoup plus approfondis dans cette version longue ; le bouleversement le plus majeur étant que notre perception du personnage de John, l’artificier
révolutionnaire irlandais interprété par James Coburn, se trouve complètement modifiée par le long flash-back qui clôt le film. La plupart des autres scènes coupées le furent pour des raisons de
« bonne morale » poussée au-delà de toute logique (les jurons des personnages, une scène de viol où l’on ne voit pourtant rien, ou encore le plan d’ouverture dans lequel Juan – Rod Steiger urine
sur des fourmis !), ou bien pour leur contenu politique. Lors de sa première exploitation en salles, Il était une fois la révolution fut ainsi privé de son ouverture énonçant une
citation de… Mao Tsé-toung, ce qui fut inévitablement mal perçu à l’époque dans les pays occidentaux.

Pour parler un peu plus de ce DVD hautement conseillé malgré sa qualité technique imparfaite, son principal supplément de cette réédition est le commentaire audio de Christopher Frayling,
biographe de Sergio Leone (qui a également enregistré le commentaire audio de la récente réédition de Et pour quelques dollars de plus). Frayling marie à merveille la petite
histoire (anecdotes concernant la production et le tournage) et la grande (remise en perspective du film dans la filmographie de Leone et dans le contexte des années 60-70 en Italie et dans le
monde) pour tout nous expliquer ou presque sur le film. Il signe un commentaire passionnant, exempt des silences pesants et des redites rébarbatives que l’on craint toujours pour des œuvres aussi
longues. Seule « faute » commise par Frayling, sa persistance à appeler John par le prénom de Sean. Mais cette confusion est faite par un grand nombre de personnes, et son explication peut se
trouver dans le remarquable documentaire Versions alternatives, qui traite des différents montages. Je ne vous en dirai pas plus, et vous conseille bien évidemment de regarder ce
supplément après avoir vu le film ! Un autre bonus notable est l’interview de Sergio Donati, coscénariste du film, qui revient sur la place de
celui-ci dans la carrière de Leone et sur sa gestation difficile.

Le film, maintenant. Sergio Leone s’y trouve comme dit plus haut à la croisée des chemins entre immaturité et maturité, et ses hésitations vis-à-vis de la réalisation du film (il a peu participé
à l’écriture détaillée du scénario, et souhaitait même au départ se contenter du rôle de producteur) peuvent être vus comme le dernier caprice d’un adolescent qui refuse de grandir. Leone semble
du coup avoir trouvé comme échappatoire le fait de se servir d’Il était une fois la révolution comme d’un terrain d’expérimentations, notamment en ce qui concerne la conduite du
récit. Les flashbacks, employés pour la première fois par Leone dans Et pour quelques dollars de plus et qui seront utilisés à la perfection dans Il était une fois en
Amérique
, sont ainsi extrêmement complexes, et la construction globale du scénario ne prend réellement forme qu’à la toute fin du film. De ces expérimentations découlent un rythme et une
narration déroutants. Il est ainsi difficile au cours de la première heure de comprendre où le réalisateur veut en venir, tellement ce dernier rallonge son exposition, enchaîne les scènes par des
ellipses brutales, et donne les informations dans le désordre. Plusieurs dizaines de minutes s’écoulent par exemple entre la première évocation de la banque de Mesa Verde et l’explication de sa
place dans le récit. Il était une fois la révolution ne démarre d’ailleurs réellement qu’une fois les deux compères John et Juan arrivés face à cette fameuse banque, et plongés
malgré eux dans la révolution mexicaine. La collision entre ces deux personnages charismatiques en diable et le contexte politique environnant élève alors le récit au rang d’épopée – mais une
épopée tragique et désenchantée.

En faisant de son film un cri de révolte contre l’idéal intellectuel de révolution, Leone n’y va pas par quatre chemins pour se placer en porte-à-faux des concepts à la mode au début des années
70. Jamais le réalisateur ne se sera identifié à un personnage comme il le fait ici avec Juan – le seul de sa filmographie à lui ressembler à ce point physiquement et en caractère, bon vivant,
entier, colérique. Leone montre par ce biais qu’il choisit explicitement le camp des « petits », manipulés et sacrifiés pour des raisons qui les dépassent et dont ils n’ont au final que
faire ; un monologue mis dans la bouche de Juan exprime parfaitement cet état d’esprit. Le cinéaste met ainsi pour la seule fois de sa carrière sa double virtuosité visuelle et scénaristique
(personne n’a jamais su mettre en place comme Leone des scènes muettes ou quasi muettes aussi longues, aussi sophistiquées, et au final aussi
époustouflantes et inoubliables) au service d’un propos important et qui dépasse les personnages, au lieu de se « contenter » de filmer des scènes époustouflantes contenant en elles-mêmes leur
propre finalité comme par exemple l’affrontement dans le cimetière qui conclut Le bon, la brute et le truand. Ici, les morceaux de bravoure typiquement leoniens (une évasion de
dernière minute, la destruction d’un pont stratégique) sont invariablement suivis par des séquences chargées émotionnellement – la découverte d’un charnier de résistants dans une grotte ; un
long et insoutenable plan-séquence décrivant le nettoyage implacable d’une ville par l’armée – qui réduisent à néant toute euphorie et nous rappellent la cruauté de la situation.

Le dernier plan, avec la surimpression du titre original (le Il était une fois la révolution français n’étant que l’énième avatar du traitement mercantile subi par le film chez
nous) sur le visage désemparé et perdu de Juan, résume toute la hargne et le pessimisme de Leone. « Duck you sucker » peut en effet se traduire en français par « Baisse la tête connard »
ou, au sens figuré, par « T’occupe pas de ça et mêle-toi de tes affaires », l’attitude prônée par Leone vis-à-vis du combat révolutionnaire et politique.

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