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- The tree of life, de Terrence Malick (USA, 1979-2011)
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Au ciné-cité Bercy, dans la grande salle pleine jusqu’au dernier siège
Quand ?
Lundi soir, à 20h, en avant-première de la sortie en salles (ce mardi)
Avec qui ?
MaFemme
Et alors ?
S’il est vrai, comme la rumeur le dit, que The tree of life est la reprise du grand projet « Q » sur lequel Terrence Malick travaillait lorsqu’il a soudainement décidé de couper les ponts avec le cinéma et le monde extérieur, cela en fait sans contestation le film à la gestation la plus longue qu’ait connu le cinéma. Mais ce qui est en jeu ici n’est pas simplement un record à citer dans les livres d’histoire. Que la portée de l’entreprise dans laquelle il s’était embarqué ait poussé Malick à un silence si long et si absolu, puis qu’elle l’ait encore fait repousser d’un an la présentation officielle, et donc définitive, du film (que tout le monde croyait prêt pour Cannes l’an dernier, avant que le cinéaste ne se dérobe à la dernière minute), montrent à quel point The tree of life est essentiel, constitutif pour lui. Difficile de ne pas lire dans ces doutes et revirements une peur panique de « mal » faire ce film, de le livrer au monde sous une forme imparfaite.
Quel est ce sujet qui importe tant à Malick, et le consume à ce point ? Rien de moins que la somme de tous les sujets, à vrai dire. The tree of life est une histoire sur l’Homme et l’Univers, le Bien et le Mal, Dieu et la Mort, les figures du Père et de la Mère… C’est une histoire que l’on peut tout de même résumer en un mot, en un thème : l’enfance. Celle-ci contient en effet en elle toutes les manières de se confronter au monde, à l’âme, à la foi, que Malick entend traiter. Et adopter lui-même, car son film est viscéralement enfantin en cela qu’il est habité par un premier degré absolu, une naïveté et une immédiateté désarmantes dans les rapports aux choses, aux gens, aux idées. Quand on y repense, les films de Malick ont tous en eux ce premier degré suprême, cette absence de cynisme ou de recul vis-à-vis de leur sujet. Ce caractère est encore plus prégnant dans le cas présent, puisque le cinéaste ne s’y efface pas au profit d’un héros autre mais nous parle de lui et lui seul, ses convictions, ses perceptions, ses souvenirs probablement. La partie centrale de The tree of life, la plus importante en termes de durée et la plus accessible en termes de narration, a ainsi tous les atours d’un rappel autobiographique d’une mémoire d’enfant. Non seulement l’époque correspond (la période bénie du retour à la paix après la Seconde Guerre Mondiale, et sa décadence), mais la façon de procéder aussi : par l’enchaînement de moments joyeux ou durs, présentés sous forme de fragments éclatés, instables et électriques, qui surgissent d’eux-mêmes à la surface des pensées, et nous apparaissent sous un angle foncièrement subjectif et parcellaire.
Et quand bien même cette représentation de quelques années de la vie du père, de la mère et des trois enfants composant la famille O’Brien ne serait pas dans les faits une projection personnelle, elle l’est dans les idées. Les O’Brien ne sont pas les protagonistes d’un récit, mais des exemples illustrant un essai philosophique sur le cheminement qu’emprunte l’apprentissage de la vie chez un enfant. Il y a initialement les premières expériences sensorielles, et le cocon de l’amour maternel incommensurable ; puis suivent les découvertes de la jalousie (quand arrive un petit frère), du malheur qui frappe aveuglément des êtres même innocents, de la mort, de la méchanceté… mais aussi de la confiance, de la possibilité du pardon. Le propos de Malick est on ne peut plus primitif, au sens où il est pur et œcuménique. Il reprend les choses à leur commencement. La manière dont il exprime son propos, elle, est bouleversante grâce à l’harmonie à laquelle il accède entre cette matière et sa mise en scène. On sait le sens inné que Malick détient de ce qui fait la beauté sidérante, immédiate, foudroyante d’un plan ; c’est-à-dire une beauté qui n’est pas le produit d’une composition soignée, d’un accord réfléchi entre différents éléments, mais qui jaillit du plan comme si elle avait toujours été présente dans ce qui y est filmé, et que la caméra n’avait joué que le rôle de révélateur. Ce don n’avait peut-être jamais autant rayonné à l’écran, sur la durée, qu’ici (certaines séquences des Moissons du ciel peuvent rivaliser, mais pas le film dans son ensemble). Surtout, il n’a jamais été aussi évident que ce don est bien plus qu’une finalité plastique en soi, c’est un moyen de s’approcher au plus près de la vérité des émotions. Filmés comme ils le sont dans The tree of life, plusieurs événements tragiques ou heureux – la rencontre avec un bébé tout juste né, une douleur physique déchirante infligée à un proche – nous transpercent avec l’acuité que j’imagine être celle de la stimulation directe d’un nerf. Par la puissance de la mise en scène et d’elle seule (le langage est quasiment absent), par ses variations, son intensité, sa sensitivité, Malick réalise une œuvre envoûtante, capiteuse. Son film nous enveloppe, s’immisce en nous par le biais des émotions, et trouve sa voie jusqu’à… notre âme, peut-être.
Arrive maintenant le paragraphe que je ne voudrais pas avoir à écrire, a fortiori après tant de louanges. J’ai parlé plus haut de partie centrale du film à propos de la chronique des O’Brien ; se déploient autour de celle-ci un prologue et un épilogue. Et à ce stade, ma critique se fait ironique à son corps défendant – car il me semble que toutes les années de gestation et de labeur de Malick n’ont pas abouti au long-métrage pleinement aboutit auquel il aspirait. Pas en termes de qualité, mais de dialogue avec le spectateur. Ce prologue et cet épilogue fonctionnent dans leurs parties « terrestres », disons, avec l’utilisation inspirée de la star charismatique qu’est Sean Penn dans un rôle si épuré et diaphane qu’il est très facile de s’imaginer se substituer à lui ; c’est une sorte de sas, de portail facilitant la connexion entre nous et ce flashback dans les années 50 que Malick souhaite universel. Mais à l’inverse, ces deux mêmes parties du film ne fonctionnent – pour moi – pas du tout lorsqu’elles nous transposent de but en blanc face à d’autres « réalités ». A savoir, une histoire accélérée de l’univers avant l’homme, et ce qui est probablement une représentation de la conception qu’a Malick de l’au-delà. L’avant, et l’après ; un prologue, et un épilogue, au sens le plus abrupt. Là, le premier degré confondant du cinéaste le dessert. Il m’a fait ressentir de la gêne devant l’épilogue, vision bien trop claire de confessions bien trop intimes d’un homme. Et une incompréhension radicale devant le prologue, si frontal qu’il en devient pour moi anti-cinématographique. Je ne vois pas ce qui différencie cette séquence d’un documentaire purement décoratif, tendance National Geographic / la Géode. Ce que je vois, c’est que toute comparaison avec 2001 est caduque. Malick n’est pas un génie cérébral comme Kubrick, il ne conçoit pas le cinéma en termes narratifs comme lui, il ne peut donc pas comme lui faire du cinéma à partir d’images neutres, de galaxies ou de singes (ou de dinosaures dans le cas présent). Il est un génie sensoriel et dès lors sa fabrique du cinéma à lui, tout aussi belle et forte dans son genre, se niche dans l’intime, l’éphémère. Dans la sensation plus que dans le sens. Dans la communion avec les O’Brien.